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Christophe Colomb

Christophe Colomb, comédie historique / shakespirienne en trois actes, en vers, de Népomucène-Louis Lemercier, 7 mars 1809.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Christophe Colomb

Genre

comédie shakespearienne

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

7 mars 1809

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Népomucène-Louis Lemercier

Almanach des Muses 1810.

L'auteur a représenté son héros d'abord à la cour d'Espagne sollicitant les secours nécessaires pour aller conquérir l'Amérique ; puis sur son vaisseau, lorsqu'il est prêt d'arriver à sa destination. Mais la terre ne se montre pas encore, l'équipage se souleve, et Christophe se dispose à la mort, quand tout-à-coup des oiseaux riverains viennent voltiger sur les mâts de son vaisseau, et le rassurent ; d'un autre côté, le botaniste de son équipage recueille sur les flots des plantes terrestres ; les murmures s'appaisent, on crie terre, et l'Amérique est découverte.

Espece d'innovation, qui, le premier jour où cet ouvrage fut représenté, excita dans le parterre un tumulte, un scandale vraiment affreux. L'auteur la retira après la seconde représentation qui avait été un peu plus décente. S'il faut à présent parler du mérite de cette nouvelle production de M. Lemercier, on ne peut nier qu'elle ne prouve un homme de beaucoup d'esprit, doué même d'un talent très peu commun. Mais pourquoi viser à l'extraordinaire, au bizarre ? Pourquoi affecter de s'éloigner de la bonne route ? Pourquoi s'obstiner à faire du nouveau, lorsque même en réussissant on parviendrait qu'à faire rétrograder l'art ? Ces questions ne déplairont point sans doute à M. Lemercier, puisqu'elles lui sont adressées par un homme qui estime également son caractere et son esprit.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Léopold Collin, 1809 :

Christophe Colomb, Comédie historique en trois actes et en vers ; par Népomucène Louis Lemercier. Représentée pour la première fois sur le théâtre de S. M. l'Impératrice et Reine, le 7 mars 1809.

Labor improbus omnia vincit.

Le texte de la pièce est précédé p. 5-7 d'une « note » que Lemercier a fait paraître avant que la pièce soit jouée :

NOTE Publiée la veille du jour de la première représentation de Christophe Colomb.

L'auteur de la pièce nouvelle qu'on donnera demain à l'Odéon croit devoir prévenir le public qu'il ne l'a pas intitulée comédie schahespirienne pour affecter d'introduire un genre étranger sur la scène, mais seulement pour annoncer aux spectateurs que son ouvrage sort de la règle des trois unités : le sujet qu'il traite l'a contraint d'en omettre deux, celle du lieu et celle du temps ; il n'a conservé que celle de l'action.

L'auteur se flatte qu'on excusera une licence qu'il lui était impossible de ne pas prendre dans le sujet qu'il a choisi, espérant intéresser par la représentation d'un personnage tel que Christophe Colomb, dont la découverte fut une si grande époque dans les annales du monde. Cette particularité d'un événement et d'un caractère extraordinaires ne peut faire exemple. Il a fallu que l'auteur s'affranchît cette fois des règles reçues ; règles qu'il a strictement observées dans toutes les pièces qu'il a faites pour le Théâtre Français ; règles dont les chefs-d'œuvre des maîtres de l'art dramatique ont consacré l'excellence, et qu'on accuse faussement de rétrécir la carrière du génie. Quelle nation peut opposer à la nôtre des modèles qui égalent en perfection Cinna, Athalie, et Tartuffe.

Cette déclaration témoignera le respect que l'auteur de Colomb porte à l'opinion générale, et prouvera qu'il n'a pas la prétention d'ouvrir des routes neuves, mais qu'il ne veut que tenter toutes celles que l'art peut offrir.

N'ayant jamais eu le dessein de suivre le genre de composition que j'ai adopté dans la pièce que je publie, je pense qu'il est inutile de le justifier par une préface ; il me suffit de dire que si un beau sujet s'offrait encore, que l'on ne pût traiter sans sortir de nos règles, je ne croirais pas déplaire aux vrais amis de l'art en prenant la même route.

Une discussion littéraire n'apprendrait rien de plus aux hommes éclairés qui savent juger, et ne persuaderait pas les esprits prévenus qui, tout convaincus qu'ils soient au fond, ont pris le parti de sembler ne pas l'être, et de ne pas m'entendre.

Mon seul devoir est ici de témoigner ma vive reconnaissance aux nombreux spectateurs qui m'ont honoré de leurs marqués d'estime, et appuyé de leurs suffrages, ou instruit de mes fautes par leurs leçons bienveillantes.

À la suite de la pièce, une nouvelle note revient sur le choix de Lemercier de terminer la pièce à la découverte de l'Amérique, et non au retour de Colomb en Espagne :

NOTE.

On a pu sentir dans le cours de cette lecture que le sujet exposé au premier acte est conduit à son dénouement promis au troisième, et que mon objet à cet égard est complètement rempli : Mais on s'aperçoit que l'intérêt dramatique satisferait mieux la curiosité des spectateurs, si l'action continuée eût présenté à leurs yeux le retour de Colomb en Espagne, après la découverte des colonies. J'ai cru néanmoins devoir m'arrêter au but où je me suis borné, prévoyant trop bien que les obstacles qu'on oppose à tous mes essais s'augmenteraient de plus en plus si je prolongeais la carrière de mon héros, et que, d'abord renversé, je ne pourrais les surmonter par mes efforts. Il m'a paru plus prudent de réserver les élémens qui me restent pour en composer deux autres actes à part, qui viendront naturellement se joindre aux trois premiers, et former une suite qui accomplira mon ouvrage. L'aveu que je fais prouve à quelle retenue me condamnent les préventions et les entraves qui me gênent et me traversent dans l'exercice de mon art, et avec quelles précautions il faut que je marche pour ne pas risquer d'être découragé par de malignes attaques. Je n'entre point dans la défense du style varié que j'emploie en cette composition, et je n'expliquerai pas la difficulté qui se trouve à unir le comique au pathétique. Les gens instruits apprécient tout ; et c'est à eux que je me soumets. Les deux nouveaux actes qui sont à faire n'offriront pas l'image des persécutions qu'a subies Colomb pour salaire de ses services ; rien de si commun et de si reconnu que l'injustice des hommes. Je ne voudrais peindre que son moment de triomphe sur les esprits et sur la cour, qui n'avaient pu le comprendre. Il me suffit maintenant de l'avoir montré recevant sa récompense de son propre génie, et augurant celle que l'avenir accorderait à ses travaux: c'est la première de toutes.

La brochure comprend encore un fragment de poème mettant en scène Christophe Colomb, que Lemercier présente ainsi :

Long-temps avant de mettre Christophe Colomb au théâtre, la gloire de ce grand homme m'avait occupé ; j'en fournis la preuve en imprimant ce fragment d'un poème où je fais parler une des divinités allégoriques que j'ai introduites dans ma nouvelle Théogonie, ou Essais poétiques sur la philosophie newtonnienne.

L'Esprit des journaux français et étrangers, 1809, tome IV (avril), p. 275-286 :

[Quand le public (et le critique) apprennent qu’on va jouer une pièce sur Christophe Colomb, que de questions ! D’autant que la pièce est annoncée comme une « comédie schakespirienne », ce qui ne fait qu’ajouter à l’incertitude, surtout de la part d’un auteur habitué à présenter des pièces irrégulières. Le choix du genre proclamé par l’auteur annonçait « une comédie anglaise avec toutes ses licences ». Il avait fait diffuser une note sur sa pièce, dont il dit qu’elle sort des règles des trois unités dont seule l’unité d’action est conservée. Considérée comme « un ouvrage vicieux », la pièce de Lemercier a été applaudie à la première représentation, et violemment attaquée à la seconde au point qu’elle n’a pu aller à sa fin. A la première, les défenseurs de l’orthodoxie étaient peu nombreux et ont dû quitter la salle. La pièce est en effet écrite au mépris des règles du théâtre français. Il a voulu montrer toute la vie de son héros, de son désir de découvrir un monde nouveau (acte I) à l’instant de la découverte après trente-trois jours de navigation. Mais le critique pense que le cri « terre » qui clôt la pièce n’est pas un dénouement : l’histoire ne s’arrête pas là, et il était possible de montrer la suite de la vie de Colomb. S’arrêter là où il a choisi d'arrêter sa pièce, c’est trahir sa volonté de montrer la vie entière su personnage. Il y a pourtant « dans l'ouvrage beaucoup de talent, qui eût pu être mieux employé », et en particulier le rôle de Colomb.

L'auteur de Wallstein, cité comme créateur de la notion d'individualité théâtrale, c'est Benjamin Constant. Sa pièce, pourvue d'une longue préface intitulée « Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand » a été publiée en 1809.]

Théâtre de l'Impératrice.

Christophe Colomb.

On vient de donner sur ce théâtre une pièce nouvelle en trois actes et en vers, intitulée : Christophe Colomb. Le choix de ce titre, le sujet qu'il annonce, et l'événement qu'il promet de retracer, ont singulièrement piqué la curiosité ; mais l'on se demandait comment l'auteur avait envisagé son sujet; s'il avait prétenté Colomb au moment de son départ, ou dans le cours de son immortel voyage, ou à son arrivée à cette destination nouvelle, à cette terre dont son génie lui avait fait pressentir l'existence. Dans le premier cas, Colomb ne promettait que peu d'intérêt; dans le second, il semblait impossible de déterminer le lieu de la scène ; dans le troisième, la peinture la plus intéressante peut-être du caractère de Colomb, et le tableau dé la situation la plus difficile où il se soit trouvé, étaient perdus pour le spectateur ; l'auteur a reconnu probablement cet état d'incertitude de l'opinion publique, et un beau matin sa pièce a été annoncée sous le titre assurément aussi nouveau que le sujet traité, et aussi singulier que l'ouvrage lui-même de comédie schakespirienne. Cette épithète a paru non moins étrangère à notre art dramatique qu'à notre oreille, à notre théâtre qu'à la langue française. Mais au moins, le plan de l'auteur, une partie de ses idées et de ses moyens ont dès-lors cessé d'être un mystère pour le plus grand nombre des amateurs : on a présumé que Christophe Colomb, au lieu de voyager comme Scarmentado d'une extrémité de l'ancien monde à l'autre, voyagerait de cet ancien monde vers le nouveau, et pourrait bien être surpris faisant une traversée de quelques mille lieues dans l'espace de trois actes : une allarme assez vive s'est alors répandue ; elle était la plus générale parmi les amis de l'auteur présumé, et son caractère et son talent lui en assurent de très-sincères ; comment disaient-ils, cet auteur non content de produire trop souvent des ouvrages accusés d'être irréguliers, contraires à nos principes et à notre goût, proclame lui-même le genre qu'il adopte ? Ce n'est pas une imitation de la scène anglaise adaptée aux formes françaises qu'il nous donne, c'est une comédie anglaise avec toutes ses licences ; et l'auteur, par le néologisme de son épithète, prétend lui-même consacrer son innovation, ou plutôt la plus étrange et la plus téméraire de toutes celles qu'il s'est permises ! Tels étaient les discours qui se répétaient parmi les amis de la littérature dramatique ; l'auteur de Colomb paraît les avoir jugés dignes d'attention, puisqu'il a prié l'administration du théâtre de l'Odéon de donner de la publicité à la note que l'on va lire.

« L'auteur de la pièce nouvelle croit devoir prévenir le public qu'il ne l'a pas intitulée comédie Schakespirienne pour affecter d'introduire un genre étranger sur la scène, mais seulement pour annoncer aux spectateurs que son ouvrage sort de la règle des trois unités : le sujet qu'il traite l'a contraint d'en omettre deux, celle du lieu et celle du temps ; il n'a conservé que celle de l'action.

» L'auteur se flatte qu'on excusera une licence qu'il lui était impossible de ne pas prendre dans le sujet qu'il a choisi, espérant intéresser par la représentation d'un si beau personnage que Christophe Colomb, dont la découverte fut une si grande époque dans les annales du monde. Cette particularité d'un événement et d'un caractère extraordinaire, ne peut faire exemple. Il a fallu que l'auteur s'affranchît cette fois des règles reçues : règles qu'il a strictement observées dans toutes les pièces qu'il a faites au théâtre français, règles dont les chefs-d'œuvres des maîtres de l'art dramatique ont consacré l'excellence, et qu'on accuse faussement de retrécir la carrière du génie. Quelle nation peut opposer à la nôtre des modèles qui égalent en perfection Cinna, Athalie et Tartuffe ?

» Cette déclaration témoignera le respect que l'auteur de Colomb porte à l’opinion générale, et prouvera qu'il n'a pas la prétention d'ouvrir des routes neuves, mais qu'il ne veut que tenter toutes celles que l'art peut offrir. »

Tel est le prologue de ce singulier ouvrage, où brille beaucoup d'esprit et de talent malheureusement employé à soutenir un ouvrage vicieux. La première représentation a été généralement applaudie ; mais à la seconde, quelques scènes du premier acte ont seules pu être entendues ; une opposition violente, un tumulte considérable et des rixes sérieuses en ont rendu la continuation impossible.

Nous ne parlerons que de la première représentation : le public était prévenu des intentions de l'auteur, il connaissait les libertés dont on allait user, et l'étendue du cercle qu'on allait parcourir ; le titre avait tout dit, et le titre était déjà un appel aux ennemis de toute innovation, aux défenseurs zélés de nos principes dramatiques, et à tous les amis de l'art qui ne viennent jamais à une pièce nouvelle, sans avoir relu les préceptes d'Aristote sur les unités, et les vers de Boileau qui les ont consacrés avec tant de concision et de sévérité.

Ces défenseurs de nos règles théâtrales, ces zélateurs de notre foi dramatique ont fait vivement entendre le cri aigu de leur opposition ; mais ils étaient en petit nombre, et ils ont été assez cruellement martyrs de leur fidélité au dogme qu'ils ont embrassé : après leur expulsion du théâtre, la pièce a été achevée tranquillement, applaudie sans contestation, et son auteur a été nommé ; on n'avait pu s'y tromper, cet auteur devait être celui de nos hommes de lettres qui a peut-être le respect le plus sincère et le mieux senti pour les maîtres de la scène, mais qui ne peut consentir à marcher sur leurs traces ; qui, content d'un succès brillant, mérité par un ouvrage régulier, a depuis méconnu presque toujours les principes auxquels il devait sa réputation naissante; qui, professant une haute vénération pour les chefs-d'œuvres de notre théâtre, a très-souvent écrit en homme que la littérature dramatique étrangère a séduit ; cet auteur est déjà nommé par le lecteur, c'est celui d'Agamemnon et de Pinto, d'Ophis et de Scarmantado, de Beaudouin et de Plaute : le rapprochement de ces divers ouvrages caractérise assez la double direction qu'il se plaît à donner au talent le plus distingué, le plus fécond et le plus heureux peut-être, si chez lui le goût se réunissait toujours à la force, si le charme de l'expression répondait toujours à l'élévation de la pensée, si à force de vouloir être lui, il ne méritait pas le reproche de ne ressembler en effet qu'à des modèles peu dignes d'être cités dans un pays dont la littérrature scénique compte tant de chefs-d'œuvres.

Après la représentation de cet ouvrage, nous avons eu quelque peine à concilier son auteur avec lui-même : sa note proclame qu'il n'a point envie de nous conduire au mépris des règles et sa pièce prouve qu'il désire réussir en les méconnaissant : elles sont, dit-il, nécessaires et on les accuse faussement de rétrécir la carrière du génie ; et au moment même où il profère cet aveu, son propre génie franchit toutes les bornes dont cette carrière est entourée : que faut-il croire de l'auteur ou de l'ouvrage, de la note ou de la pièce ? La note n'aurait elle été qu'une adroite précaution oratoire ? Le caractère de l'auteur ne permet pas de le croire ; mais si la pièce eût réussi d'une voix unanime, si elle eût accompli le premier des préceptes au théâtre, si elle eut plu en dépit d'Aristote, amusé quoiqu'au mépris des unités, et intéressé sans égard pour les règles, qui peut répondre que l'auteur eût été plus fidèle aux protestations de sa note que flatté du succès obtenu ? Placé entre son goût et son amour-propre, entre son talent et son succès, qui peut dire auquel des deux l'auteur fût resté fidèle ? C'est ici le danger que courait l'auteur, et peut-être même notre littérature ; car il ne faudrait qu'un succès très-brillant, et un ouvrage irrégulier marqué au coin du génie, pour opérer peut-être une révolution en faveur du système des étrangers : je ne soupçonne pas l'auteur, je le répète, d'en avoir l'intention, le désir ou le dessein ; mais son ouvrage réussissant eût pris date, et pouvait encourager la foule toujours si nombreuse des imitateurs.

L'auteur de Walstein a mis en lumière l'expression d'individualité théâtrale. Il voit dans ce système, qui consiste à offrir aux spectateurs la vie presqu'entière d'un personnage célèbre, un grand mobile d'intérêt ; il croit que la comédie peut ainsi acquérir un nouveau degré d'utilité, offrir d'autres leçons que celles jusqu'ici données, agrandir, élever la sphère de l'instruction que nous attendons d'elle. M. Lemercier avait mis ce principe en pratique avant qu'il ne fût proclamé, dans une dissertation littéraire d'ailleurs pleine de mérite, écrite avec beaucoup de talent et remplie d'observations très-judicieuses.

Il paraît que ce système a le grand inconvénient de mettre ceux qui le suivent en contradiction avec eux-mêmes. M. Constant, en effet, vante dans son écrit la tragédie allemande, et fait, autant qu'il est en lui, une tragédie française ; M. Lemercier vante les richesses de notre scène, et fait une pièce anglaise, autant qu'il a cru pouvoir l'oser.

Il a trop fait ou pas assez ; sa pièce comportait trois, cinq, sept actes ad libitum ; elle n'a pas de commencement prescrit, elle n'a pas non plus de bornes nécessaires ; on pouvait remonter plus haut dans la vie de Colomb; on pouvait le suivre plus loin dans sa carrière : peut-être deux actes de plus, en complettant l'invraisemblance, auraient-ils completté l'illusion ; ceci ne paraîtra hasardé et sophistique qu'à ceux qui n'ont pas vu la représentation de Colomb.

En effet, au premier acte, Colomb tourmenté de l'idée de découvrir un Monde nouveau, sûr qu'en traversant l'Océan-Occidental, il touchera cette terre que ses calculs lui désignent, est repoussé de tous les cabinets qu'il assiège, et réputé fou dans sa propre maison. Sa femme croit lui devoir à la fois les secours de la religion et de la médecine.

Au second, Colomb paraît devant la reine de Castille : le conseil d'Isabelle repousse le plan du hardi Génois, mais l'éloquence de Colomb persuade la reine : les ports lui sont ouverts ; il est amiral, une flotte armée est confiée à son courage.

Au troisième, il est sur son bord : trente-trois jours de navigation se sont écoulés, et ses vœux sont encore déçus : son équipage se mutine, et Colomb frappé des cris séditieux, en Europe ! en Europe ! se voit au moment de perdre la vie, et plus que la vie mille fois, la découverte qu'il a promise, et la gloire qu'il en espère. On connaît le bel épisode de M. Delille, dans son poème des Trois Règnes de la Nature ; cet épisode a servi l'auteur : l'haleine des vents avertit Colomb qu'il approche de la terre ; des plantes sont apportées par les flots autour de son navire. L'espoir renaît ; Colomb impose aux mutins, les fait rentrer dans le devoir, et au moment où ils s'inclinent devant lui comme devant leur unique sauveur, le cri terre se fait entendre, et est répété par tout l'équipage.

Il ne fallait peut-être pas faire tant de chemin pour s'arrêter aussi brusquement, et pour présenter un dénouement qui n'en est pas un ; le spectateur auquel vous avez promis une action, ne la trouve pas assez terminée ; avec deux licences de plus, nous aurions pu voir Colomb à la Jamaïque prédisant une éclipse aux sauvages, en leur faisant croire qu'il a un commerce avec la Divinité ; nous pouvions le voir de retour en Espagne recevant les titres et les récompenses qu'il dut à son succès, et que l'auteur lui fait donner par avance : encore un acte, et nous pouvions voir un exemple de l'instabilité des choses humaines et de l'ingratitude des nations, Colomb dans les fers, et terminant une carrière plus brillante qu'heureuse. C'était là ce que voulait le système de l'individualité ; nous avions la vie toute entière du héros ; la comédie alors méritait son titre ; elle était biographique, et son auteur historien ; il n'y avait point de transaction entre notre goût et celui des étrangers, et la question était soumise au juge compétent, au public sous son véritable jour.

Le tumulte qui a troublé la seconde représentation et les voies de fait qui on ont été la suite, tranchent cette question et ne la décident pas ; le goût et la raison ont d'autres armes ; elles sont moins dangereuses et plus sûres ; leur effet est moins prompt, mais plus certain.

Nous ne pouvons, en terminant, que répéter notre première pensée. Il y a dans l'ouvrage beaucoup de talent, qui eût pu être mieux employé. Le rôle de Colomb est beau, semé de traits d'une grande force et de vers qu'une sorte d'admiration a fait suivre par les applaudissemens les plus vifs. Le premier acte est très-gai ; il y règne un ton épigrammatique très-amusant : on aime à y voir Colomb aux prises avec l'ignorance ; au second acte, il est aux prises avec l'envie, au troisième acte, avec le malheur, et c'est dans cette dernière position qu'il intéresse véritablement ceux qui veulent juger l'ouvrage sans partialité, et sur l'impression qu'ils en ont reçue. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que l'homme le plus étranger aux troubles que ces ouvrages ont le malheur d'exciter, est l'auteur même de ces ouvrages : ceux qui le connaissent le savent assez, et ce sera le peindre assez fidèlement à ceux qui ne le connaissent pas, que de dire qu'il sera constamment disposé à faire le sacrifice de toute propriété littéraire et de tout intérêt d'amour-propre, toutes les fois qu'un de ses ouvrages sera la cause ou le prétexte du moindre débat parmi les spectateurs ; et cette abnégation de soi-même, il ne l'a pas bornée à de simples protestations ; il a été dans sa destinée d'en donner plus d'une fois la preuve dans des occasions où l'amour propre de tout autre aurait peut-être opiniâtrement combattu.              S.....

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