La Gageure anglaise

La Gageure anglaise, comédie en un acte, en vers, de Dumaniant ; 11 août 1814.

Théâtre de l'Odéon.

Titre :

Gageuse anglaise (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

11 août 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Dumaniant

Almanach des Muses 1815.

Les Anglais aiment les paris, et c'est le goût qu'on leur connaît qui a donné lieu au petit acte dont il va être question.

Un jeune fou a, par sotte honte, parié une somme considérable qu'il n'épouserait pas une jeune personne qu'il aime et dont il est aimé. Cela mérite bien une leçon. Sa maîtresse la lui donne en feignant de vouloir épouser un lord. Que faire ? Perdre sa gageure, et se marier, parce que l'amour-propre et l'amour en font une loi.

De jolis détails.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VIII, août 1814, p. 289-291 :

[Les Anglais ont la manie de parier, et le critique celle de critiquer les Anglais : tout le début de l’article est consacré à caricaturer le goût, réel, des Anglais pour les paris en tout genre, jusqu’à l’anecdote censée le démontrer. Le rédacteur peut enfin arriver à la pièce, dont il raconte l’intrigue qu’il juge ensuite bien mince, voire nulle (encore une histoire de mariage qui manque de capoter parce que le jeune homme refuse d’épouser celle qu’il aime et a parié qu’il resterait célibataire, jusqu’à ce que la jeune femme trouve le moyen de le rendre jaloux, au point qu’il accepte de perdre l’enjeu de son pari. Détails un peu ternes : pas de quoi racheter la pauvreté de l’intrigue. Versification facile : quelques vers ont rendu le public indulgent, mais il croyait avoir affaire à un débutant, et c’est un vieux routier des théâtres qu’on a nommé.]

THÉATRE DE L’ODÉON.

La Gageure anglaise, comédie en un acte et en vers.

Parie, ou tais-toi. Ce dicton est un argument qui termine en Angleterre beaucoup de discussions ; si l'argument n'est pas positivement avoué par la saine logique, il est consacré par la coutume, admis comme bon, et ne laisse pas que d'avoir son avantage ; il réduit au silence, par la crainte de l'amende, ceux qui soutiennent avec une obstination qu'encourage ailleurs l'impunité des opinions erronées ou des assertions fausses. Mais malheureusement il coupe aussi la parole à celui qui, dans la dispute, n'a d'autre tort que de ne pouvoir pas mettre au jeu; et il est bien plus facile pour la plupart des hommes, et surtout des disputeurs, de tirer des écus de leurs poches, que des raisons de leur tête. Je n'adopterai donc le parie, ou tais-toi que quand les gens d'esprit auront autant d'argent que les sots. Les uns et les autres semblent travailler de concert à reculer cette époque.

On ferait un livre des paris extravagans qui sont proposés et tenus en Angleterre dans l'espace d'une année. C'est un goût, une fureur, une rage ; et quelque chose de plus plaisant encore que la folie des parieurs, c'est le religieux respect avec lequel les indifférens à la gageure s'interdisent tout ce qui pourrait en déranger l'exécution. Je n'en citerai qu'un trait qui en vaut mille.

Un homme tombe dans la Tamise ; il se débat, il nage, mais il nage mal ; atteindra-t-il le bord ? Se noiera-t-il ? Vîte un pari. — Vingt guinées qu'il se sauvera. — Tenu contre ; les gageures s'augmentent, se multiplient ; en deux minutes des sommes considérables sont placées sur la tête du pauvre nageur. Cependant des bateliers l'apperçoivent et rament vers lui ; ils vont le sauver : « il y a gageure, il y a gageure ! « leur crie-t-on de toute part. A ces mots, presque magiques, les bateliers s'arrêtent, le malheureux se noie, et le pari est jugé.

La gageure de l'Odéon n'a pas un objet aussi triste ; il ne s'agit pas de la vie d'un homme, mais du mariage d'un jeune fou, membre d'une espèce de cotterie de partisans libertins du célibat, qui s'intitulent les Indépendans. Il a, par une mauvaise honte, parié une somme considérable qu'il n'épouserait pas une jeune personne qu'il aime, et dont il est aimé. La crainte du ridicule fait taire l'amour, et il sacrifie son bonheur et celui de sa maîtresse à ce pitoyable point d'honneur. Cet extravagant mérite une leçon, c'est sa maîtresse qui se charge de la lui donner ; elle feint de consentir à épouser un lord. Alors l’amour-propre ou le sentiment triomphe, l’imprudent parieur avoue son tort, demande sa grace, brave les sarcasmes, perd sa gageure et se marie.

Le fond de cette comédie est bien léger, pour ne pas dire nul, et les détails ne sont pas assez brillans pour faire excuser le défaut d action et d'intérêt. La versification, sans être bien forte, est facile, et quelquefois heureuse, et ce sont quelques jolis vers qui ont disposés le public à l'indulgence, car la pièce a paru froide et ennuyeuse même à l'Odéon. On a demandé l'auteur. Quel a été l'étonnement des spectateurs qui avaient cru encourager l'essai d'un jeune homme, quand ils ont appris qu'ils avaient récompensé les nombreux travaux d'un auteur connu depuis long-temps par des succès, M. Dumaniant ! Personne n'a paru se repentir de son indulgence. Si l'auteur avait gagé qu'il ferait réussir une pièce médiocre, il a gagné son pari.                      A. MARTAINVILLE.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1814, tome IV, p. 418-419 :

[Le compte rendu parle surtout de la manie anglaise de parier, sans dire grand chose de la pièce, avant de dire que « la gageure de M. Dumaniant n'a pas été très-heureuse », en d’autres termes que sa pièce a été mal reçue (par la critique ? Ses censeurs, qui ont été « un peu sévères » et dont il peut se venger en proposant une pièce meilleure, pour le fonds comme pour le style ?]

La Gageure anglaise, comédie en un acte, jouée le 19 août.

La manie de parier est celle des Anglois. On citeroit vingt histoires plus bizarres les unes que les autres, de leurs gageures. Un homme se noye ; il se sauvera, dit un parieur. Je parie que non, dit l'autre. Les bateliers vont au secours du nageur : on leur crie, il y a gageure, ils s'arrêtent, et le malheureux périt. Un boxeur est saisi par un ours qui vient de rompre sa chaîne. D'autres boxeurs les entourent : l'un d'eux s'écrie : je parie pour l'ours. Dès-lors on n'est plus que spectateur du combat. L'adversaire de l'ours, prêt à succomber, s'en débarrasse en lui enfonçant le poing dans la gueule, et plusieurs spectateurs se retirent fort mécontens de ce que les choses ne se sont pas passées selon les règles du boxage.

La gageure de M. Dumaniant n'a pas été très-heureuse. Elle étoit moins originale que celles-là. Il a, pour se consoler, d'autres succès, et je parie qu'il peut se venger facilement de ses censeurs un peu sévères en faisant un autre ouvrage plus fort que celui-ci de fonds et de style.

[La pièce de Dumaniant a été au cœur d’une polémique vigoureuse, dont on trouvera ci-dessous quelques éléments empruntés à la presse du temps.

Pour montrer que Dumaniant est un auteur du passé, les articles polémiques citent toute une série de pièces de Dumaniant antérieures à 1789 :

  • Le Dragon de Thionville, fait historique en 1 acte et en prose, Paris, théâtre du Palais-Royal, 26 juillet 1786

  • Guerre ouverte, ou Ruse contre ruse, comédie en 3 actes et en prose, Paris, théâtre du Palais-Royal, 4 octobre 1786

  • La Nuit aux avantures, comédie en 3 actes et en prose, Paris, théâtre du Palais-Royal, 7 février 1787

  • Les Intrigants, ou Assaut de fourberies, comédie en 3 actes et en prose, Paris, théâtre du Palais-Royal, 6 août 1787

  • L'Amant femme-de-chambre, comédie en prose et en 1 acte, Paris, théâtre du Palais-Royal, 8 novembre 1787

Ils citent également Elina et Nathalie, une pièce de 1802 qui n'a sans doute pas marqué profondément le public bien qu'elle ait été reprise en 1808.]

Journal des Débats politiques et littéraires, lundi 15 août 1814, p. 3-4 :

THEATRE DE L' ODEON.

Première représentation d'Une Gageure anglaise, comédie en un acte et en vers, par M. Dumaniant.

Si j'en crois un Almanach des Spectacles que j'ai sous les yeux, M. Dumaniant étoit déjà connu, il y a trente ans, par plusieurs comédies représentées en province. On peut donc, sans craindre de se tromper beaucoup, lui supposer quarante années d'exercice dans la carrière du théâtre. Un si long apprentissage auroit dû lui donner, sinon le talent que l'expérience ne remplace jamais, du moins l'usage et la connoissance de la partie matérielle et technique de son art. Si l'on n'a pas le droit de demander à un auteur émérite l'esprit, la grâce, le savoir-faire, dons heureux de la nature, il semble qu'on peut exiger de lui plus sévèrement que d'un jeune homme l’observation des règles et celle des convenances. Les folies s'excusent et quelquefois même ne déplaisent pas dans la jeunesse : mais le comble du ridicule, c'est un auteur barbon qui se consume en efforts impuissans pour amuser le public, et qui, dans ses malheureuses tentatives, ne sait pas même mettre dans ses intérêts les partisans de la sagesse et de la raison.

Ces réflexions affligeantes pour M. Dumaniant m'ont été inspirées par l'amour de l'art et des principes qui en sont les conservateurs. Quoique le nom de cet écrivain ne soit pas une autorité bien imposante, quoique des nombreux ouvrages qu'il a donnés en province, et depuis dans la capitale, on ne se rappelle guères que l'imbroglio espagnol intitulé Guerre ouverte ; quoiqu'en un mot ses fautes soient sans conséquence, sa longue habitude du théâtre, soit comme comédien, soit comme auteur, les rend cependant plus inexcusables. Et quelle indulgence pourroit réclamer ce vieux athlète qui, toujours repoussé de l'arène par les sifflets, persiste à s'y montrer pour attirer sur ses cheveux blancs de nouveau affronts ? On a dû respecter le génie, lorsqu'après avoir brillé du plus vif éclat à son aurore et à son midi, il a paru plus pâle et moins ardent à son couchant. Le Cid demandoit grâce pour Attila, et Œdipe pour Irène ; mais quel chef-d'œuvre pourra jamais faire pardonner à M. Dumaniant sa Gageure anglaise !

Sir Henri Seymours est dans Londres à la tête d'une secte des Indépendans : c'est une réunion de jeunes libertins qui professent l'aversion la plus prononcée contre le mariage, et qui vouent au ridicule les adorateurs des autels de l'Hymen. Sir Henri a porté si loin sa passion pour I'indépendance, qu'il s'est lié par une gageure de trois mille guinées qui sont perdues si jamais il se marie. Il est cependant tombé amoureux d'une charmante pupille de son père, dont il est également aimé. Clémence desire hâter le moment de son union, lorsqu'elle apprend par les papiers publies le pari extravagant de son amant. Indignée et inquiète, elle fait part de ses senti mens : à qui ? le devinera-t-on ? A son laquais, et ce conseiller, de nouvelle robe, l'engage à feindre à son tour, pour ramener sir Henri, l'insensibilité et la haine Cet avis prudent est appuyé par le frère et par le tuteur de Clémence. Le pere de sir Henri lui déclare que, ne voulant pas laisses éteindre la race des Seymours, il va lui-même se remarier, et qu'il va donner Clémence à lord Bentham : il mande son notaire, fait dresser le contrat de son ami avec sa pupille, et le remet à son fils. Le jeune étourdi, frappé et éclairé en même temps par ce coup de foudre, se jette aux pieds de son amante, demande et obtient facilement son pardon. Il en est quitte pour les brocards qui vont pleuvoir sur lui, et pour la perte de ses trois mille guinées

On ne peut rien voir de plus froid, de plus inconvenant qu'un pareil canevas ; tout y est faux, romanesque, absurde, sans qu'il en résulte la moindre intention comique. Un amour que l'on suppose véritable et même brûlant, un amour partagé se trouve en balance avec une misérable somme d'argent et la crainte de quelques plaisanteries : voilà le nœud. Le dénoûment est ce ressort usé de la jalousie, de la préférence accordée à un rival ; c'est tout ce qu'il y a de plus trivial sur tous les théâtres. Que l'on ajoute à ce fonds pitoyable des conversations métaphysiques bien alambiquées sur l'amour, et délayées dans une versification lâche et décolorée, et l'on aura toute la pièce de M. Dumaniant.

Il n'est pas aussi facile qu'on pourroit le croire de faire une jolie comédie en un acte. Si ce genre d'ouvrages exige moins de force et moins d'haleine qu'une pièce d'une plus grande étendue, il demande, en revanche, plus de précision, plus de fini, plus de délicatesse : l'exposition doit en être plus rapide ; l'auteur n'a pas un instant à perdre ; chaque scène a besoin d'être piquante ; le dialogue d'être vif et serré, les situations d'être intéressantes et neuves. La difficulté redouble quand la piece est écrite en vers ; presque tous les vers doivent, en naissant, y devenir proverbes. Cet honneur ne me paroit pas réservé à ceux de M. Dumaniant ; il s'est avisé un peu tard d'être poëte : je l'engage à abjurer pour jamais des prétentions dangereuses, et à se rappeler le conseil qu'Horace ne balance pas à se faire donner à lui-même : « Si vous êtes sage, lui dit un de ses amis, dételez votre coursier vieillissant, dans la crainte qu'efflanqué et sans vigueur, il ne finisse par être l'objet de la risée publique. »

Solve senescenten maturè sanus equum , ne
Peccet ad extremum ridendus, et ilia ducat.

Thépard a mis de la chaleur dans le rôle de sir Henri : mais la volubilité de son débit fait perdre la moitié de ses paroles et la première obligation d'un comédien est de se faire entendre. Mlle Délia est jolie ; le public le sait, et probablement elle ne l'ignore pas elle-même : elle a donc doublement tort de gâter par des grimaces les agrémens de sa figure ; ses yeux clignotent trop souvent, et il en résulte un effet tout contraire à celui qu'elle se propose de produire. C.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, Bulletins de Paris, septième volume (dix-huitième de l'ancienne collection) (1814), n° 314 (Cinquième année), 20 Août 1814, p. 240 :

Vendredi 19 AOUT.

— Un petit scandale littéraire va consoler les amateurs de la disette actuelle d’ouvrages nouveaux. M. Dumaniant se propose d’attaquer devant les tribunaux M. C., l'un des rédacteurs du Journal des Débats, qui, dans le compte qu‘il a rendu de la Gageure anglaise, a signalé l'auteur comme un vieil athlète, qui, toujours repoussé de l'aréne par les sifflets, persiste à s'y montrer pour attirer sur ses cheveux blancs de nouveaux affronts. Il est possible que cette phrase ne soit pas très-conforme aux règles établies par la Civilité puérile et honnête ; nous ne savons pas jusqu’à quel point elle pourra exciter l’animadversion de la justice. M. Dumaniant assure que M. C. s'est trompé sur son signalement. Ainsi, quoiqu'il ait la soixantaine, il ne convient point des cheveux blancs. De profonds logiciens en ont conclu que M. Dumaniant porte perruque.

Au surplus, les scandalomanes se promettent d’autant plus de plaisir de cette affaire, qu’elle leur fera connaître le veritable nom du tranchant M. C. ; car, enfin, on ne peut pas plaider contre une lettre de l’alphabet.

Gazette de France, an 1814, n° 232 (20 août) p. 922-923 :

Décidément M. C....., du Journal de l'Empire, a été pris à partie par M. Dumaniant. L'auteur de Ruse contre Ruse, de Ricco, des Intrigans, de la Nuit aux Aventures, et d'une foule d'autres ouvrages qui, quoiqu'oubliés, n'en ont pas moins obtenu beaucoup de succès, ne veut pas passer pour un auteur dont les ouvrages sont dévoués aux sifflets : quoique M. Dumaniant soit convaincu depuis long-tems qu'une mauvaise pièce n'est point une mauvaise action, il ne veut pas qu'on lui conteste ses succès. Tout le monde est convenu qu'il y avait beaucoup d'animosité et d'injustice dans l'article de M. C.... Si l'arrêt est, comme on n'en doute pas, favorable à M. Dumaniant, cet auteur aura joui du singulier avantage d'avoir fait déclarer ses pièces bonnes par la justice.

Journal des Débats politiques et littéraires, samedi 20 août 1814, p. 1-3 :

THEATRE DE L'ODEON.

La Gageure Anglaise , par M. Dumaniant.

Depuis l'Oronte du Misantrope, il n'a jamais existé d'auteur de mauvais vers plus terrible que M. Dumaniant. J'ai rendu compte dans le Feuilleton du 15, de la première représentation de sa Gageure Anglaise. J'ai dit dans mon âme et conscience ce que j'en pensois ; j'ai parlé du peu d'effet qu'elle a produit sur le public, et, à cette occasion, j'ai conseillé à M. Dumaniant de renoncer pour jamais à la poésie dont il me paroît s'être avisé un peu tard. J'ai calculé son âge d'après des données théâtrales qui m'ont paru certaines ; je lui ai supposé environ soixante ans, et aujourd'hui il les avoue ; de là je me suis reporté à ses dernières productions, dont j'ai rappelé la foiblesse et le peu de succes : j'en ai conclu que l'auteur feroit bien, pour son intérêt et pour sa gloire, de quitter enfin une carriere qui, à l'exception d' une seule piece déjà très ancienne n'a été depuis long-temps marquée que par des chutes et par des revers. Mes avis ont eu auprès de M. Dumoniant la destinée de ceux de Gil-Blas aupres de l'archevêque de Grenade. Il se met en guerre ouverte contre moi, et me menace de me traduire, en réparation de mes offenses , non pas devant MM. les maréchaux, mais devant le tribunal correctionnel.

M. Dumaniant avoit bien passé jusqu'ici pour un écrivain ridicule mais , à ce travers près, on le regardoit comme un homme raisonnable. Il occupe dans l'administration de l'Odéon une place qui suppose du jugement et de la prudence. Il faut que l'amour-propre soit chez les auteurs une passion bien violente, pour porter ainsi au cerveau, déranger en un instant les organes du raisonnement et faire passer un honnête homme d'un état de santé satisfaisant à celui de la plus absurde démence

« Le motif de ma plainte, dit Monsieur Dumaniant, est dans tout l'article et notamment dans cette phrase : Quelle indulgence pourrait mériter le vieux athlete qui, toujours repoussé de l'arene par les sifflets, persiste à s'y montrer pour attirer sur ses cheveux blancs de nouveaux affronts ? » ll voit dans ces trois lignes trois mensonges, ou plutôt trois calomnies bien caractérisées : j'ai dit qu'il étoit vieux, et cepcndant il n'a que soixante ans ; j'ai parlé de ses cheveux blancs, et il a les cheveux du plus beau noir du monde ; enfin, j'ai rappelé la sifflets qui ont accueilli ses derniers ouvrages. Les six dernieres comédies qu'il a données, (je copie ici ses expressions) n'ont point eu entr'elles six un seul coup de sifflet, et il invoque à cet égard le témoignage de tous ceux qui ont assisté à leurs premières représentations : j'ai droit, ajoute-t-il, à une réparation dans le Journal où j'ai été insulté.

J'ai une telle horreur des procès, je redoute tellement l'éloquence de M. Dumaniant, et celle de l'avocat célèbre qui veut bien se charger de sa cause, que s'il est possible d'entendre à un arrangement, je suis prêt à faire à mon adversaire toutes les concessions snapatibles avec la vérité et avec l'honneur. Je le déclare donc : sur les deux premiers griefs, j'ai eu tort, je suis coupable. M. Dumaniant n'est point vieux ; Boileau, il est vrai, se trouvoit vieux à 55 ans ; mais M. Dumaniant est jeune à soixante : ce ne sont plus les années qui font la vieillesse, ce sont les maladies, les infirmités, les douleurs. Jusqu'à la lecture de mon article, il a toujours eu une constitution inébranlable, et j'espere qu'une rétractation aussi solennelle l'aura bientôt remis dans sa manière d'être accoutumée.

Je me suis également trompé sur la couleur de ses cheveux. Je n'ai jamais vu M. Dumaniant que sur le théâtre, et j'ai pu être trompé par la nature des rôles qu'il a joués devant moi. Ses soisante ans, n'avoient aussi induit en erreur mais puisque, par une heureuse exception de la nature, sa chevelure a conservé cette teinte juvenile dont il s'enorgueillit avec tant de raison, je lui en fais mon compfiment d'autant plus sincère, que je suis persuadé qu'elle ne doit ries à l'art des Curon et des Michalon.

Voilà, je pense, une confession aussi humble, aussi repentante, et j'ajouterai aussi entière, qu'il m'est possible de la faire ; car, pour le troisième article, dût M. Dumaniant me menacer de toutes les Cours d'assises du Royaume, il m'est impossible de me trouver d'accord avec lui, parce qu'il n'est impossible de démentir le témoignage de mes oreilles. J'ai assisté, il y a enviros trois ans, à l'une des premières representations de la Femme de vingt ans : et l'année dernière, j'ai vu jouer : Qui des deux a raison ? J'ignore si M.Dumaniant se trouvoit avec moi dans la salle : mais je puis l'assurer que chacune de ces deux fois j'ai entendu le fatal instrument se mêler aux applaudissemens d'une douzaine de personnes établies au milieu du parterre, et troubler, par un son discordant, le concert des bravos, parfaitement bien exécuté d'ailleurs.

Au surplus , est-ce à un homme comme M. Dumaniant à disputer sur les mots, et à se réfugier dans les misérables chicanes de la logomachie ? Est-il question de savoir si à telle ou telle représentation il y a eu ou non des sifflets ? que le mécontentement du public se soit constamment manifesté à son égard par un resserrement de lèvres ou par une ouverture démesurée de houche, ou ce qui est plus décisif, par la désertion totale de ses ouvrages, où est la calomnie d'en avoir fait la remarque ? Je sais qu'il peut étaler une nombreuse nomenclature de comédies, et je puis aussi. à l'aide d'un Nécrologe en gratifier le public. Eh ! qui se rappelle aujourd'hui, outre les deux pièces citées plus haut, l'Espiègle et le Dormeur, Est-ce une fille, est-ce un Garçon ?, l'Homme en deuil de lui-même, Elina et Nathalie, l'Amant femme de chambre, le Dragon de Thionville ? Est-il une seule de ces pièces que l'on revoie, que l'on redemande au théâtre? Elles sont tombées dans le plus profond oubli, si l'administration, malgré l'influence présumée de l'auteur, ne juge pas à propos d'en fatiguer le public, j'ai eu raison de dire que s'obstiner à donner encore aujourd'hui des pièces plus détestables, s'il est possible , que les précédentes, c'étoit attirer sur soi de nouveaux affronts. Où trouvera-t-on, dans une remarque purement littéraire, l'ombre d'une personnalité ? Je connois les limites, mais je connois aussi l'étendue des droits de la critique. Dans tout ce que j'ai dit de M. Dumaniant. je n'ai considéré que l'auteur : je n'ai point parlé de l'homme, que je ne connois que de réputation et sous des rapports honorables Il craint que mes censures ne nuisent à la représentation de ses pièces en province : il a tort, et il attache à unes jugemens beaucoup plus importance que je n'en attache moi-même. Si, par la suite, mes opinions acquierent quelque autorité, elles le devront à la pureté des motifs qui les auront dictées, à l'avantage d'être toujours l'expression de mes véritables sentimens. Pour l'intérêt d'un art que j'aime avec passion, et qui forme l'un des plus beaux titres de gloire de ma patrie, je braverai les animosités des mauvais auteurs, comme leurs délations aux tribunaux Si l'on a cru par de semblables menaces inspirer de la crainte, ce n'est pas à moi, c'est aux magistrats que l'on a fait injure : c'est à l'ombre de leur autorité protectrice que les lettres peuvent fleurir, et les lettres ont besoin de ces surveillans séveres qui, encourageant de la voix le talent et le génie, repoussent la médiocrité d'un champ qu'elle obstrue trop souvent de ses misérables productions.

En relisant la lettre que M. Dumaniant a fait insérer dans le Journal de Paris, j'y aperçois une petite perfidie qui m'avoit d'abord échappé. Il y souligne ses mots : Un vieux radoteur conspué, et donne par là à entendre qu'ils sont de moi, et qu'ils se trouvent dans mon article : la vérité est qu'ils viennent de sa plume, et je les lui renvoie comme lui appartenant en propre.

 

 

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