Léhémann, ou la Tour de Neustadt

Léhémann, ou la Tour de Neustadt, opéra-comique en trois actes, de Marsolllier, musique de Daleyrac. 21 frimaire, an 10 [12 décembre 1801].

Théâtre de l'Opéra Comique National, rue Feydeau.

Le nom du personnage-titre est sujet à d’importantes variations : Léhémann, Lemann, Leman.

Almanach des Muses 1803

Le prince Frédéric, proscrit par l'empereur Léopold, s'est retiré et caché dans une cabane, avec Leman son ami, et la fille de ce dernier, dont il est amoureux. Il échappe, grace à l'adresse et au courage de Leman, aux vives recherches des satellites de Léopold ; mais enfin il tombe entre leurs mains, et se voit conduit et renfermé dans la tour de Neustadt. Confronté bientôt avec son ami, il apprend que les papiers qui pouvaient le compromettre sont brûlés, et cependant il n'en est pas moins condamné à périr le soir même dans la tour, par l'ordre de Léopold. Leman, qui sait le sort réservé à Frédéric, le décide à se sauver par une fenêtre, et prend généreusement sa place. Le prince descend sous les habits de Leman, lorsque la fille de celui-ci, trompée par ce déguisement, croit parler à son père, et lui reproche d'abandonner le prince au moment où on va l'assassiner. Il n'en faut pas davantage à Frédéric pour qu'il remonte dans la tour. Il aime mieux périr lui-même que d'exposer les jours de son ami ; mais, par bonheur, le parti du prince triomphe ; la tour de Neustadt est attaquée et renversée, les soldats de Léopold ont pris la fuite ; Frédéric est délivré, et il épouse la fille de Leman.

Un intérêt assez soutenu, des détails heureux ; musique qui fait honneur au cit. Daleyrac. Succès un peu contesté.

Courrier des spectacles, n° 1748 du 22 frimaire an 10 [13 décembre 1801, p. 2 :

[Avant de raconter longuement et avec précision l’intrigue de la pièce, le critique tente de définir ce sur quoi repose le succès d’une pièce, « l’intérêt » et « des situations capables de gagner le spectateur par son côté foible, par la sensibilité », mais c’est pour insister sur le fait que l’auteur fait ici attendre bien longtemps la scène touchante et pathétique de son troisième acte : il juge que c’est employer « de petits moyens pour amener sa scène du troisième acte ». Suit donc l’analyse du sujet, très compliqué, très spectaculaire, très confus aussi. On y retrouve tous les poncifs du mélodrame, jusqu’au dénouement, facile à prévoir. Jugement ? La condamnation d’une invraisemblance pourtant assez habituelle (des gardes qui s’endorment ou font semblant de dormir). Sinon, le public a applaudi, la musique offre « plusieurs beaux morceaux », les interprètes sont excellents, et les auteurs ont été « vivement demandés ». Le critique promet un autre article, mais je ne l’ai pas trouvé.]

Théâtre de l’Opéra-Comique rue Feydeau.

Le succès des Deux Journées a préparé celui de Lémann, ou la Tour de Neustadt, opéra en trois actes, dont la première représentation eut lieu hier. Un auteur tout en se défiant de certaines choses hasardées, doit presque toujours compter sur la réussite, lorsqu’il aura mis dans son ouvrage de l’intérêt, et des situations capables de gagner le spectateur par son côté foible, par la sensibilité. L’on aime s’attendrir sur des maux que l’on sait pourtant être imaginaires, et chez plusieurs l’ame se plait dans cet état d’anxiété et de souffrance qu’elle n’échangeroit pas contre le calme ou la joie Telle est par exemple la situation du troisième acte de Lémann ; rien de plus touchant, rien de plus pathétique que cette scène ; mais avant d’y arriver il y faut voir deux actes qui offrent quelques scènes il est vrai assez intéressantes, mais qui en général font trop voir que l'auteur a eu recours à de petits moyens pour amener sa belle scène du troisième acte. Voici la manière dont cet opéra a été traité.

Fédéric, prince de Transylvanie, vaincu et fugitif, trouve dans les montagnes un asyle dans une cabane que Lémann son ministre et son ami a acheté d'un pauvre pêcheur qui l’habitoit. Les patrouilles de l’armée impériale investissent la cabane, mais Lémann trouve moyen de faciliter l’évasion de son Prince, en éloignant deux soldats qui gardent sa porte et dont l’un le reconnoit pour le ministre Lémann à qui il doit la vie ; tous deux lui font la promesse de le servir dans l’occasion.

Fédéric est arrêté ; Lémann le sait, il arrive à la ville, se fait passer pour un ancien serviteur de l’Empereur. Le capitaine qui a arrêté Fédéric et qui ne le connoît pas pour le prince de Transylvanie cherche à faire jaser Lémann en le faisant boire, mais celui-ci jette la liqueur sans qu’on le voie, et il garde son sang-froid fr manière à donner le change au capitaine, lorsqu’en sa présence il interroge son prisonnier. Cependant arrive une lettre qui annonce que le prisonnier est bien réellement Fédéric. On le transfère dans la tour, son ami Lémann y est avec lui ; il sait d’un des soldats qui lui sont dévoues qu’à neuf heures on doit venir le défaire de Fédéric. Quant à lui, une échelle placée près de la tour lui facilitera les moyens de s’échapper ; mais pour le faire de manière à ne pas donner de soupçon aux patrouilles, il faudra qu’il eteigne sa lampe, et et c’est le moment même que les assassins ont choisi pour l’exécution du meurtre. Lémann ne délibere pas ; neuf heures sonnent, il force Fédéric de prendre son costume, de descendre au moyen de l’échelle ; il éteint la lampe et attend le coup de la mort. Fédéric descend : Amelina, fille de Lémann et son amante, croyant que c'est son père, lui crie qu’il abandonne le prince Fédéric qu’on assassine. Fédéric remonte, se défend dans la tour avec Lémann et repousse les assassins. Ses amis rassemblés fondent sur la ville, dissipent les Impériaux, et Fédéric reparoît vainqueur au milieu de Lémann et de sa chère Amelina.

Tout le monde à blâmé le sommeil des deux gardes au deuxième acte, et c’est avec raison. En effet, est-il naturel que deux hommes s’endorment ou même feignent de dormir en une minute, parce qu’une femme en exprime le desir en à parte. Du reste l’ouvrage a été généralement applaudi. La musique offre plusieurs beaux morceaux, entr’autres le final du deuxieme acte, un chœur de soldats dans le même, et un air chanté par madame Scio dans le troisième. L’ouvrage a été parfaitement joué, sur-tout par le citoyen Rézicourt qui faisoit Lémann ; il a été bien secondé par le citoyen Gavaudan et par madame Scio.

Les auteurs ont été vivement demandés, ce sont les cit. Marsollier et Dalairac. Nous reviendrons sur cet ouvrage.

Mais je n’ai pas trouvé l’article promis. On doit se contenter, quelques jours après la première, à une lettre de Gavaudan, adressée à Geoffroy et voulant rectifier une information parue dans le Journal des Débats.

Journal des débats et des décrets, du 23 frimaire an 10, p. 1-4 :

[L'incohérence de l'orthographe des noms des personnages est empruntée au Journal des débats...]

Théâtre National de l'Opéra- Comique, rue Feydeau.

Lémann, ou la tour de Neustadt.

Après avoir épuisé le bénéfice des rentrées successives des principaux sujets, il ne reste plus aux sociétaires de Feydeau que la ressource des bons ouvrages pour réveiller la curiosité du public ; il faut qu'ils rajeunissent d'anciennes pièces, et qu'ils en donnent de nouvelles. La Tour de Neustadt peut-être regardée comme l'inauguration de ce théâtre, qui renaît sous de meilleurs auspices. Une pareille circonstance demandoit une nouveauté dont le succès fût à-peu-près sûr ; une chute eût été du plus funeste présage sous ce point de vue, les acteurs ont assez bien choisi. Une pièce à grand fracas, à grand spectacle, à grands chœurs, à évolutions militaires ; une pièce pathétique, héroïque, tragique, où il y a une forteresse, une tour, une bataille, un siège, du canon, ne pouvoit guères manquer son coup, et devoit emporter le parterre d'assaut : la victoire a chancelé dans quelques instans ; quelques sifflets se sont mêlés au son des fifres et des trompettes ; mais ils ont été bientôt réduits au silence ; et s'ils eussent voulu continuer le concert il y auroit eu bataille dans l'assemblée comme sur le théâtre ; toutes les mesures étoient bien prises pour assurer le succès.

Il seroit à désirer, sans doute qu'on eût donné une pièce moins compliquée, moins fatigante, moins invraisemblable, plus analogue au ton et au genre de ce théâtre ; mais qui est-ce qui ne cherche pas à s'élever au-dessus de sa sphère ? L'Opéra-Comique croit s'annoblir en se lançant dans la tragédie. Pour se mettre au niveau des grands théâtres, il imagine d'être ennuyeux et assommant, mais il n'y gagne rien, car les pantomimes du boulevard sont encore plus pathétiques, et on brûle beaucoup plus de poudre au grand siège de Nicolet. Tous les rangs aujourd'hui sont confondus, et le théâtre le plus agréable est aussi le plus noble. Beniouswski Ziméo Owinska, malgré l'appareil des décorations et le tragique des situations n'ont pas attiré autant de spectateurs que le PrisonnierAdolphe et Clara, le Calife de Bagdad, la Maison à vendre, etc. L'Opéra-Comique, quand il connaîtra ses vrais intérêts, ne s'armera point du poignard de Melpomène qu'il ne sait pas manier, il se contentera du masque de Thalie et des grelots de Momus.

Comment l'auteur a-t il pu chercher à détruire lui-même l'intérêt de curiosité, le seul que sa pièce puisse produire par cet avis aussi imprudent qu'inutile qu'il a répandu dans tous les journaux ? Eh, qu'importe que la tour de Neustadt soit un sujet d'imagination ou un sujet historique ? Ce qui compromet véritablement l'honneur de son imagination, c'est cet amas d'aventures incroyables et romanesques qu'il a mêlées à l'histoire. Pourquoi nous avertir d'avance que le capitaine Lémann a trouvé le moyen de sauver la vie au prince Fédériec, et qu'ils se sont échappés tous les deux ? Dès que je sais cela, je ne crains plus pour l'un et pour l'autre, et je ne regarde plus les incidens de la pièce que comme des jeux de théâtre ; je n'éprouve plus ni pitié ni terreur, parce qu« l'intérêt d'un pareil ouvrage n'est pas fondé comme celui de nos bonnes tragédies, sur un beau développement des sentimens et des passions qui produit toujours son effet et qu'il consiste uniquement dans la surprise et le merveilleux des événemens entassés sans ordre et sans choix.

C'est à regret que je m'engage dans ce labyrinthe d'aventures : il y a une foule de petits détails qu'une analyse ne peut admettre et ces petits détails font souvent le seul mérite des scènes ; essayons cependant de parcourir la lourde Neustadt. Le prince Fédéric Lémann, son ami, et Amélina, fille de Lémann, paroissent autour du feu auprès d'une cabane et en se chauffant ils chantent un trio pour se raffermir le cœur : le prince est vaincu et fugitif ; sa tête est mise à prix et il n'a plus de ressources pour se défendre contre le désespoir ; Amélina lui chante une romance sur l'espérance ; la romance est agréable, très-bien chantée par mad. Scio, mais en vérité, les chansons et les romances sont là hors de saison. Lorsqu'Amélma a fini de chanter, son père lui donne une commission un peu plus sérieuse qu'une chanson ; il la charge d'aller faire la ronde dans les villages voisins, et de leur rapporter des nouvelles ; emploi très-périlleux, peu convenable à une jeune fille, et qui n'est d'aucune utilité pour le prince. Amélina se déguise en paysanne mais avant de commencer sa tournée, il faut qu'elle fasse encore sa partie dans un trio qui n'est autre chose qu'une prière pour le succès du voyage : encore un autre petit trio pour les adieux ; à peine est-elle partie, que Fédéric à son tour, chante un air d'un mouvement assez gai ; les paroles ont encore plus d'inconvenance que 1'air : on y dit qu'on sert bien son pays quand on sert bien sa maîtresse, et que le plus tendre est toujours le plus brave. Après que le prince a chante si à propos, son mentor Lémann l'enferme à clef dans la cabane ; aussi-tôt arrivent des soldats qui le cherchent : Lémann déguisé en vieux chasseur, leur donne une fausse indication ; mais le chef de la patrouille n'en veut pas moins visiter la cabane ; puis il change d'avis, incertitude qui a paru ridicule ; enfin, il se décide à laisser seulement deux soldats auprès de la cabane, et avec le reste de sa troupe, il se rend à l'endroit indiqué par le vieux chasseur ; Lémann trompe encore ces deux soldats, et les éloigne un moment par un faux avis. Le prince sort de la cabane, et s'enfuit non pas aussi promptement qu'il devrait le faire ; il reste trop long-tems sur la scène. Les deux soldats reparoissent ; et par un de ces hasards familiers au théâtre, un d'eux reconnoît dans Lémann, un homme qui lui a sauvé la vie ; il s'attache à lui par reconnoissance, et son compagnon par amour pour le prince. Voilà du moins deux soldats sur lesquels il peut compter. Cependant le gros de la troupe revient et s'emporte contre le maudit vieillard, qui leur a fait faire des pas inutiles ; bientôt on vient annoncer qu'on a pris un jeune homme qu'on dit être Fédéric : on part pour le conduire à Neustadt, et on emmène aussi Lémann. A peine le théâtre est-il évacué, qu'Amélina arrive fort étonnée de ne plus trouver personne au gîte ; elle apperçoit de loin son père parmi des soldats, et court après lui en poussant de grands cris. Tel est le premier acte.

Le second représente une salle du château de Neustadt : le capitaine vent savoir si son prisonnier est le prince Fédéric ; il fait boire Lémann pour tirer de lui la vérité ; il le confronte avec le prince. Lémann, dans cette confrontation, trouve le moyen d'avertir adroitement Fédéric que les papiers qui pouvoient le faire connoître sont brûlés et soutient hardiment que ce jeune homme est un officier de l'armée du prince ; mais toute son adresse, toute sa fidélité sont inutiles. On sait fort bien à Vienne que le prisonnier est Fédéric, et toutes ces scènes ne sont qu'un vain remplissage. L'ordre arrive d'assassiner le prince dans sa prison à neuf heures du soir : cet incident ne fait pas trop d'honneur à l'empereur Léopold, ni même à l'auteur. Nous avons perdu de vue Améline, personnage extrêmement déplacé dans la pièce, qui joue un triste rôle parmi des soldats au milieu d'un corps-de-garde ; elle obtient use entrevue avec le prince, son amant. Les deux soldats, amis de Lémann, sont de garde : Améline n'ose parler devant eux ; ils se retirent ; elle souhaite de plus qu'ils s'endorment ; aussi-tôt ils se mettent à ronfler. Le parterre s'est mis à rire et à siffler. Amélina n'en a pas moins entoné avec Frédéric, un duo fort étrange dans un pareil moment ; dans cette scène, ainsi que dans plusieurs autres la musique, quoique belle, n'est pas un embellissement, mais au contraire un embarras qui refroidit l'action et rallentit l'intérêt.

Au troisième acte, la scène représente la tour de Neustadt et la chambre du prince ouverte du côté des spectateurs. Amélina vient chanter un air au pied de la tour, et se fait chasser par les patrouilles, ce qui ne l'empêche pas de revenir avec une poignée de gens sans armes, qui jurent en chantent, de mourir pour la défense du prince : le prince, dans son cachot, fait sa partie avec eux. On le voit et on l'entend, au moyen de l'ouverture pratiquée du côté des spectateurs.

Quand les conjurés ont disparu, les deux soldats, amis de Lémann, viennent lui révéler que dans une heure les assassins doivent entrer dans la chambre du prince ; que pour lui, il peut se sauver et descendre par une échelle. Quel besoin Lémann a-t-il d'une échelle puisqu'il est dans ce moment au pied de la tour et qu'il ne tient qu'à lui de fuir dans la campagne ? Mais il ne veut point abandonner le prince. On le conduit dans sa chambre ; et lorsqu'il est seul avec lui, il arrache les barreaux de sa fenêtre, et y attache une échelle Le prince, après quelques difficultés, commence à descendre : Lémann, en sa place, est résolu d'attendre la mort ; mais Amélina voyant quelqu'un descendre, et croyant que c'est son père, crie : Comment, mon père, vous abandonnez le prince au moment où il va périr ! A ces mots, le prince remonte dans la tour, les assassins arrivent : Frédéric et Lémann se défendent. Les conjurés hongrois attaquent la tour ; on tire des coups de fusil, des coups de canon ; c'est un vacarme effroyable. Les conjurés, en un clin-d'œil, sont maîtres de la tour, et délivrent les prisonniers. Le dévouement de Lémann est vraiment héroïque ; mais cette belle situation est le résultat d'un amas d'invraisemblances monstrueuses accumulées les unes sur les autres : rien n'est motivé, rien n'est expliqué ni intelligible dans ce dernier acte et dans une partie du second. Les acteurs chantent sans cesse, tantôt à haute voix tantôt à voix basse, on ne les entend pas mieux d'une manière que d'une autre ; et ce qu'il y a de pis, c'est qu'on ne les entend pas même lorsqu'il] parlent.

C'est à-peu-près le même fond d'intérêt que dans les Deux Journées ; car il s'agit aussi d'un malheureux proscrit qu'on veut découvrir, et que le zèle d'un honnête homme s'efforce de dérober à ses ennemis ; mais il me semble que l'innocent qu'on persécute dans les Deux Journées, inspire une pitié plus douce. Le prince Fédéric, de quelques beaux noms qu'on colore son ambition, n'étoit qu'un factieux qui trompoit les peuples, sous le prétexte de la liberté ; car c'était un bien pour la Hongrie que la couronne y devînt héréditaire. Le dévouement de Lémann seroit plus pathétique s'il avoit un plus digne objet.

La musique a ses beautés ; c'est une des plus fortes productions de Dalavrac, qui a voulu prouver que ses ta'ens ne se bornoient pas au flageolet, et qu'il savoit emboucher la trompette. Il s'est attaché sur-tout à faire de grands morceaux d'ensemble ; il a prodigué les chœurs, quelques uns ont de l'effet ; la plupart cependant m'ont paru uniformes et monotones. Cet opéra, si plein de musique, n'offre que trois airs; le meilleur est celui qui est le plus dans le genre du compositeur, la romance sur l'espérance.

Le rôle du prince est joué par Gavaudan ; il est si peu propre à faire briller un acteur, que je ne suis pas surpris qu'Elleviou l'ait dédaigné : le plus important de la pièce, le seul intéressant, le rôle de Lémann a été rendu par Rézicour, assez bien dans la partie comique, médiocrement dans les endroits nobles : quant au chant il est nul. Madame Scio a bien voulu se charger du personnage inutile d'Amélina, et si elle ne lui a pas donné un éclat qu'il ne peut avoir, du moins par son talent, elle en a un peu sauvé l'insipidité. Le succès de cet ouvrage n'étant pas appuyé sur un mérite réel mais sur l'étonnement que causent le bruit, la pantomime et le spectacle, ne peut pas être fort solide. Marsolier en a eu de plus flatteurs à ce théâtre ; il me semble qu'il a été trop modeste, qu'il s'est trop défié de lui-même, lorsque, pour réussir, il a eu recours à ce charlatanisme, à ce fracas théâtral dont souvent il a su se passer.

 

Courrier des spectacles, n° 1752, du 26 frimaire an 10 [17 décembre 1801], p. 2 :

Nous recevons du citoyen Gavaudan la lettre suivante :

Le citoyen Gavaudan, artiste de l’Opéra-Comique National, au citoyen Geoffroy, rédacteur du Journal des Débats.

Vous avez été sans doute mal informé, citoyen, lorsque vous avez inséré dans le feuilleton du Journal des Débats, le 23 de ce mois, qu’Elleviou avoit dédaigné le rôle du. prince de Ragotzy, dans la Tour de Neustadt : je puis vous attester que ce rôle ne lui a jamais été offert, et que c’est à moi que les auteurs l’ont toujours destiné ; quant à ce rôle, en supposant qu’il ne fût pas très-brillant, je ne me serais pas cru, pour cela (et tous mes camarades, sans doute, pensent comme moi) je ne me serois pas cru, dis-je, en droit de le dédaigner : il me semble que l’acteur qui aime les arts, son état, sa société, ne doit pas refuser le rôle qui lui est confié par les auteurs, lorsque ceux-ci jugent que ses soins, son zèle, son talent même peuvent contribuer aux plaisirs du public et au succès de l’ouvrage: en ces occasions, l’intérêt particulier doit être sacrifié au bien général, et si je ne me trompe, le journaliste impartial devroit alors des encouragemens et des éloges à l’artiste qui se conduiroit ainsi.

J’attends de votre complaisance et de votre équité l’insertion de ma lettre dans votre prochain numéro, vous obligerez votre concitoyen,

Gavaudan.

La Décade philosophique, littéraire et politique, n°10, an X, 2me trimestre, 10 Nivôse, p. 49-50 :

Leman ou la Tour de Neustadt, opéra-comique en 3 actes.

Le prince Frédéric, proscrit par l'Empereur Léopold, s'est retiré et caché dans une cabane, avec Leman, son ami, et la fille de ce dernier, dont on voit bien qu'il doit être amoureux. Vivement recherché par les satellites de l'Empereur, il doit à l'adresse et au courage de Léman d'échapper momentanément au malheur de tomber entre leurs mains ; mais ce n'est pas pour long-tems, car à la fin même du premier acte, il est au pouvoir d'une autre patrouille, et conduit dans la tour de Neustadt.

Au second acte, Léman confronté avec Frédéric, l'avertit adroitement, et sans avoir l'air de le reconnaître, que les papiers qui pouvaient le compromettre sont brûlés. Cependant le prince n'en est pas moins reconnu et condamné à périr, le soir même, dans cette tour, par l'ordre de Léopold.

Au troisième, Léman, sans avertir Frédéric du sort qui l'attend, le détermine à se sauver par une fenêtre et prend généreusement sa place. Le prince descend sous les habits de Léman, par une échelle. Sa maîtresse, trompée par le déguisement, lui dit : « Quoi, mon père, vous abandonnez le prince au moment où on va l'assassiner ! » Il n'en faut pas davantage à Frédéric pour le faire remonter dans la tour, ne voulant pas sauver sa vie aux dépens de celle de Léman. Heureusement pour eux survient le dénouement d'usage. Le parti du prince hongrois triomphe de celui de l'Empereur. La tour de Neustadt est renversée après une vigoureuse et bruyante fusillade, Frédéric est délivré ; il épouse la fille de Léman.

Cette pièce n'est, comme on voit, que le sujet retourné de Richard Cœur-de-Lion, amalgamé avec celui des Deux Journées. C'est encore un dénouement à coups de canon, et une pièce à fracas ; mais le talent de l'auteur s'y montre dans les détails, et produit un intérêt assez soutenu ; il a encadré fort heureusement au second acte la scène de Pelisson confronté avec Fouquet, et au troisième le dévouement de Léman et la générosité du prince, produisent un effet dramatique qui fait honneur à l'invention du C. Marsollier. La musique n'en fait pas moins au C. Daleyrac. Malgré quelques légères contradictions, la pièce a réussi et les auteurs ont été demandés.

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