La Noce sans mariage

La Noce sans mariage, comédie en cinq actes et en prose, de Picard, 24 fructidor an 13 [11 septembre 1805].

Théâtre de l’Impératrice, rue de Louvois.

Titre :

Noce sans mariage (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

prose

Musique :

non

Date de création :

24 fructidor an 13 [11 septembre 1805]

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Louis-Benoît Picard

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Madame Masson, an XIV (1805) :

La Noce sans mariage, comédie en cinq actes et en prose, Par L. B. Picard. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Impératrice, rue de Louvois, le 24 Fructidor an 13 (11 septembre 1805).

Théâtre de L. B. Picard, membre de l’Institut, tome cinquième (Paris, 1812), p. 3-5 :

[Le texte de la pièce est précédée d’une préface qui affirme que la pièce a réussi, et qui la défend comme si elle avait plutôt échoué...]

PRÉFACE.

Voici encore une de mes pièces chéries. Elle réussit ; mais son succès fut modeste. La pièce faisait rire constamment, souvent aux éclats ; mais on la remarqua peu. Depuis seize ans je donnais au moins deux ouvrages par an. Le public était habitué à mes qualités, il était fatigué de mes défauts. On avait été indulgent pour les fautes de mes premières comédies ; en retrouvant toujours les mêmes fautes, on devenait plus froid et plus sévère. Ici je crois avoir été aussi comique que dans telle ou telle de mes pièces qui a obtenu un bien plus grand succès : mais voyez le malheur d'avoir tant écrit. En disant que ma pièce rappelle encore l'intrigue de Pourceaugnac, c'est avouer aussi qu'elle rappelle celle du Collatéral et du Voyage Interrompu. En disant que le jeune homme et son ami rappellent encore les Étourdis, c'est avouer qu'ils rappellent aussi des personnages du Collatéral, du Voyage Interrompu et de la Petite Ville.

On me sut beaucoup de gré, quand je donnai le Collatéral, d'avoir renfermé une action assez compliquée dans le court espace d'une halte de diligence. On riait et on aimait à rire du conducteur qui vient toujours presser le départ, et menacer d'interrompre l'action. On ne remarqua pas qu'il était peut-être aussi comique d'avoir placé l'action de la Noce sans Mariage le jour même et au moment du mariage qu'on veut rompre, et d'avoir perpétuellement interrompu cette action par l'offre des cadeaux, l'arrivée des témoins, les tambours , les poissardes, l'annonce que tout est prêt à l'église et à la municipalité, le repas de noce et les violons.

Le rôle railleur et facétieux du jeune médecin aurait paru plus comique et plus original s'il n'avait été précédé du petit avocat de la Diligence à Joigny, et celui du faiseur d'affaires Badoulard aurait été bien plus remarqué, si l'on n'avait cru reconnaître qu'il était de la famille du faraud de Moulins et du Lovelace de Villeneuve-sur-Yonne.

Un personnage vraiment original et qui appartient bien à la Noce sans Mariage, c'est celui de M. Trotmann, le médecin allemand, ennemi juré de la vaccine, qui veut voir des malades partout. Aussi le public n'a-t-il jamais manqué de le bien accueillir.

L'exposition faite par la lecture d'un billet de mariage , et par un tableau de tout le tracas qui existe dans une maison où il y a une noce me paraît heureuse. La première scène entre Blinval et Goberville est semée de détails qui étaient toujours fort applaudis. J'aime surtout le portrait de M. Badoulard, un de ces hommes très-communs au moment où je donnai la pièce, qui, sous le nom d'agents d'affaires, n'avaient point d'état, et faisaient tous les états. Il y avait bien long-temps que je pensais à mettre en scène deux femmes, dont l'une, en grand deuil de veuve, serait fort gaie, et l'autre en habits de noces serait fort triste. Je trouvai l'occasion de la placer dans la Noce sans Mariage. La scène me paraît assez bien faite. Nos bienséances théâtrales ne m'ont pas permis de la faire plus comique.

L'arrivée de ma jeune veuve au second acte me paraît un bon ressort de comédie.

On m'a reproché d'avoir fait Badoulard trop crédule au troisième acte, quand il se laisse persuader qu'il est malade. Parce qu'il a fait fortune, on ne veut pas qu'il soit un sot. De l'audace, de l'intrigue, peu ou point de délicatesse, voilà de bons moyens pour faire fortune, et certes tout cela n'est pas de l'esprit, tout cela n'empêche pas d'être crédule et peureux, dès qu'il s'agit de santé.

Le quatrième acte languit vers le milieu; mais il se ranime par l'arrivée de trois personnages amenés par madame de Péraudière. C'est là que commence à briller la sagacité du vieux médecin, et je crois que c'est un bon moyen de comédie que mon jeune médecin trouve une ressource à son intrigue, précisément dans une personne amenée pour lui nuire.

Le dénoûment n'a rien de saillant que la manière dont on fait rendre la dot par M. Badoulard; mais le rôle de M. Trotmann jette une grande gaieté dans tout le cinquième acte.

Presque tout est anecdote dans cette pièce; le fond, les incidents , les personnages. L'idée m'en vint à la noce d'une de mes parentes. Malheureusement pour elle on n'eut pas besoin de faire accroire au marié qu'il était malade. Il l'était réellement. Il y avait parmi les convives un jeune médecin qui, après avoir ordonné l'émétique au marié, revint prendre sa place au repas, qui fut encore assez gai. Au moment où j'ouvris mon théâtre, un de mes camarades de collège vint me demander le titre de médecin honoraire du théâtre, afin, disait-il, d'acquérir du crédit et des malades. Un de mes amis avait le plus grand intérêt à cacher son mariage à un de ses oncles. L'oncle vient lui demander à dîner précisément le jour de la noce. Mon ami recommande le silence à tous les convives. Voilà les tambours qui donnent une aubade, voilà les poissardes qui apportent des bouquets,.et il est obligé de dire qu'il a gagné à la loterie. J'ai beaucoup connu l'original de madame de Péraudière.. C'était la femme d'un honnête procureur. Elle-même était une active et honnête commerçante en toiles et mousselines. Son commerce et le soin de la maison de son mari ne suffisaient pas à son activité. Elle employait ses moments de loisir à négocier des mariages et à réconcilier des familles.

Courrier des spectacles, n° 3133 du 25 fructidor an 13 [12 septembre 1805], p. 2 :

[Il y a eu un malentendu entre l’auteur, qui a choisi de donner un titre léger à sa pièce, remplie d’éléments comiques et écrite en prose, et le public qui voulait une pièce plus sérieuse. La représentation a bien commencé : on a apprécié des épigrammes contre le temps présent et des personnes insensées ou intrigantes. Mais l’intrigue a déçu : dénouement trop prévu, scènes mal enchaînées, mouvements trop rapides, incidents répétitifs, vraisemblance douteuse. Pour réussir, il faudra revoir cette pièce, dont le critique se limite à résumer l’intrigue, une histoire de mariage qu’il s’agit d’empêcher, le futur choisi étant « un fripon ». Tout le monde se ligue autour de la jeune fiancée pour faire reconnaître qu’on veut la marier à un escroc, ce qui conduit à la confusion du fripon : la jeune fille épouse celui qu’elle aime et qui s’est beaucoup dépensé pour démasquer son rival. « Beaucoup de traits ont été vivement applaudis », la pièce semblait plaire au public, mais dès le rideau baissé, elle est sifflée abondamment, au point qu’il n’est pas possible de nommer l’auteur, pourtant demandé (cette bronca finale n’est pas expliquée dans l'article, mais elle est peut-être l’effet d’une claque...).]

Théâtre de l’Impératrice.

La Noce sans Mariage.

Le titre de cette pièce ne promettoit pas un ouvrage bien sérieux. L’auteur n'a pas même fait à son sujet les honneurs de la versification. S’il n’a voulu que présenter des incidens gais, des scènes comiques, des traits plaisans, il a parfaitement réussi. Mais le public attendoit davantage. C'est souvent un pesant fardeau qu’une grande réputation. Le nom de M. P., les preuves de talent qu’il a faites si souvent ne lui permettent plus de hasarder ses succès ; et celui de la Noce sans Mariage a été un peu compromis.

Les premières scenes s’annonçoient néanmoins assez heureusement. On a vivement applaudi quelques épigrammes contre nos mœurs actuelles. On a ri de la définition de l’homme d’affaires, des saillies contre les marchands qui vuident leurs magasins pour se donner des armoires en glace et des comptoirs en acajou. On s’est amusé avec lui de cette espèce d'intrigans qui se ruinent pour se procurer du crédit, de ces docteurs qui se font nommer médecins honoraires des Théâtres pour se ménager des soirées, et y obtenir leurs entrées.

Mais après ces traits , l’intérêt à l’angui [sic], le dénouement est trop prévu, les scènes ne sont pas assez liées, les mouvement sont trop rapides, les incidens se ressemblent trop, et la vraisemblance n’est pas toujours bien observée. Cet ouvrage aura besoin d être retouché, et réduit. Je n’ai ni assez de tems, ni assez d’espace, pour en discuter le mérite avec une étendue convenable ; mais voici une idée de l’intrigue :

M. Duvergier, riche et honnête marchand, est sur le point de marier sa fille à un M. Bagoulard, agent d’affaires. Ce Bagoulard est un fripon. Linval, jeune officier, aime Cécile, et n’apprend qu’avec desespoir qu’elle est prêle à donner sa main à un intrigant.

Trois personnes se réunissent pour contrarier ce projet ; la première est une jeune veuve à qui M. Bagoulard a fait une promesse de mariage ; la seconde est un Médecin cousin de Cécile et ami de Linval, et la troisième est Linval lui-même qui se propose d’en venir aux dernières extrémités plutôt que de se laisser enlever Cécile. La jeune Veuve emploie les gens de loix, et fait une opposition au mariage. Linval envoie un cartel à son rival, et le Médecin vient à bout de persuader à Bagoulard qu’il est malade. Tous ces incidens dérangent furieusement les préparatifs de la noce. Bagoulard, qui tremble à chaque instant de se voir découvert, se condamne à jouer le rôle que le médecin lui a imposé ; il va même jusqu’à signer une renonciation au mariage, et remet la dot qu’il a reçue. Alors toutes les parties intéressées lui avouent qu’elles se sont mocquées de lui. Bagoulard entre dans une colère extreme, lorsqu’on lui présente des actes qui prouvent qu'il n’a ni fortune ni crédit, et qu’en épousant Cécile, il n’a eu intention que de tromper une famille honnête.

Beaucoup de traits ont été vivement applaudis. La pièce a été entendue avec assez de plaisir jusqu’à la fin. Mais le moment où la toile est tombée a été celui où les sifflets se sont fait entendre. L’opposition est devenue si forte dans le parterre, qu’il a été impossible de nommer l’auteur, quoiqu’il eût été demandé.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 10e année, 1805, tome V, p. 419 :

[L’article confirme que la première représentation a bien été houleuse au moins à la fin, comme l’indique l’article du Courrier des spectacles.]

Théâtre de l'Impératrice.

La Noce sans mariage, comédie en cinq actes.

Picard vise à l'originalité, qui n'est pas toujours du talent, mais qui souvent peut en tenir lieu. Le titre de sa dernière pièce annonçoit quelque chose de piquant ; en effet, on voit plus de mariages sans noces, que de noces sans mariage. Au premier acte, tout semble disposé pour une noce ; on n'attend qu'un témoin ; on va partir pour la municipalité et ensuite pour l'église. Tout est dérangé subitement, par une mauvaise plaisanterie; on fait croire au marié, comme à Basile dans le Barbier de Séville, qu'il a la fièvre, et qu'il est très-dangereusement malade. Le marié, intrigant maladroit, donne dans ce piège grossier ; et le reste de la pièce roule sur un aussi foible moyen. Il a fallu toute la gaîté de Picard pour soutenir l'ouvrage, qui va toujours en déclinant. Il a employé pour cela une foule de moyens qu'il seroit impossible de détailler dans une courte analyse. Sa pièce est d'ailleurs du nombre de celles qu'il faut voir, et dont on n'auroit aucune idée par le récit. La première représentation n'avoit pas été heureuse ; les suivantes ont eu plus de succès.

L’Esprit des journaux français et étrangers, an XIV, tome II, Brumaire an XIV, Octobre 1805, p. 273-278 :

[On trouve rarement des comptes rendus aussi élogieux, avec des comparaisons aussi flatteuses, des défauts relevés, certes, mais pour être finalement considérés comme presque flatteurs, un auteur qui est aussi un comédien extraordinaire.]

Théâtre de l’Impératrice.

A la première représentation de la Noce sans Mariage, on a ri constamment , et aux éclats ; on a applaudi l'idée première, comme très-originale, et les détails comme bien dignes de cette idée. On a reconnu tout ce que cette pièce, folle si l'on veut, mais amusante et spirituelle, offrait d'intentions comiques, de scènes excellentes, de traits saillans, de bonnes plaisanteries, de mots destinés à faire fortune ; et cependant, lorsque l'auteur allait être nommé, des sifflets opiniâtres ont opposé leur indécente minorité à la volonté et aux suffrages bien prononcés du public : l'auteur a été nommé, mais on a empêché que son nom ne fût entendu : heureusement on n'avait pu empêcher que son cachet ne fût empreint sur toutes les scènes de l'ouvrage ; il n'était point connu, mais deviné, et nommé de toutes parts ; les paris étaient ouverts à coup sûr.

A la seconde représentation, l'effet théâtral a été presque le même ; s'il y a eu quelque différence, c'est qu'on a ri peut-être davantage, et mieux entendu, mieux saisi les intentions de l'auteur. Aussi a-t-il retrouvé le parterre auquel il est accoutumé de parler, moins la secte ennemie qui s'y était glissée ; aussi a-t-il retrouvé le public reconnaissant du plaisir qu'il avait éprouvé, comptant par le nombre des ouvrages de l'auteur celui de ses succès, s'étonnant de sa facilité, sentant très-bien ses défauts, mais désarmé par le rire, ce premier de tous les argumens contre la critique.

Les spectateurs ont demandé l'auteur à grands cris, et voulu le voir : ils lui ont prodigué d'éclatantes marques de leur satisfaction ; le nom de l'auteur est déjà deviné. Il n'appartient qu'à M. Picard de donner par an deux ou trois pièces nouvelles, d’y jouer le principal rôle, d'apprendre vingt autres rôles et de jouer presque tous les jours dans trois pièces sur un théâtre qu'il dirige, c'est-à-dire, d'être en quelque sorte un prodige d'imagination, de facilité, d'activité, de mémoire et de santé.

On assure qu'un des hommes du temps où nous vivons, les plus recommandables par la sagesse de leur caractère, et les graces aimables de leur esprit, a placé au fond de son jardin, et comme premier ornement, un simple buste de Molière. Le premier des comiques de toutes les nations a l'œil fixe et perçant ; un rire sardonique est empreint sur ses lèvres, et au bas de son buste on lit ce vers :

Le monde, chère Agnès , est une étrange chose.

On n'imagine pas un éloge plus ingénieux de, Molière, et une plus adroite manière de définir son, génie et la source première, l'aliment et le véhicule de ce génie ; Picard a passé sans doute dans ce jardin : en comparant l'inscription et le buste, l'œil de Molière et ses écrits, il s'est dit : « J'observerai, sans cesse, et n'écrirai qu'après avoir vu et bien vu ». Tout en observant il écrit, il trouve en effet le monde une chose assez étrange, il le peint tel qu'il le voit, et donne cette raison pour excuse à tous ceux qui trouvent quelque chose d'étrange dans ses pièces.

Jusqu'ici il n'a guères choisi ses modèles, et cherché ses originaux dans les premiers rangs, ou dans la dernière classe de la société ; mais dans cette classe intermédiaire qui de tout temps a été une source inépuisable pour les auteurs comiques, parce que les ridicules n'y sont pas toujours masqués par un vernis agréable, et que les vices y sont rares, parce que les physionomies y sont franches et variées, qu'elles n'impriment pas trop de respect et de circonspection, mais aussi qu'elles n'ont point un caractère d'avilissement et de dégradation.

Picard connaît bien cette classe, celle qui a fourni à Molière les Chrysale, les Arnolphe, les Sganarelle, les Orgon, les Georges Dandin, les Géronte, les Philaminthe et les Agnès ; à Regnard, son légataire ; à Dancourt, ses tableaux naturels, et vrais ; à Dufresny, ses scènes originales et piquantes ; et de nos jours à nos meilleurs auteurs comiques, les sujets les meilleurs, Il n'a cessé de l'observer, de l'étudier : il sait quel est le ton de chaque état, quel est son style, quelles sont ses habitudes, ses prétentions, et par conséquent son côté ridicule : il a saisi les mots et les choses en usage, l'étiquette de chaque profession, le costume de chaque état , les nuances de chaque quartier, s'il s'agit de Paris ; de chaque ville, s'il s'agit de la province : il n'a rien regardé sans y chercher la part de l'auteur comique, rien observé sans calculer son effet à la scène, rien entendu de caractéristique, sans le placer dans une des innombrables cases de sa mémoire. Ainsi la société est son domaine, il y lève chaque jour des tributs assez singuliers dont ensuite il a le talent de lui faire agréer l'hommage ; ce qu'il lui donne, il le lui a emprunté ; ce qu'il lui montre, c'est elle qui le lui a fait voir ; il la peint sans la flatter, et elle le remercie d'avoir, comme peintre, la premiére des qualités, le mérite de la ressemblance.

C'est à ce talent d'observateur distrait en apparence, et attentif en réalité, de peintre habile et de coloriste, vrai, que nous devons Médiocre et Rampant, l'Entrée dans le Monde, le Collatéral, le Voyage interrompu, Muzard, et sur-tout cette Petite Ville qui, comme la Noce sans Mariage, ne fut pas assez appréciée à la première représentation, et a fini par être jouée cent fois avec succès, même sur les lieux où le dessin en avait été pris d'après nature. La critique a tout dit quand elle s'est écriée que la plupart de ces pièces sont de la même famille : elle a tout dit, parce qu'elle ne peut guères dire que cela de vrai ; elle devrait ajouter du moins que cette famille est singulièrement nombreuse et plaisante, que les physionomies y ont une grande originalité, et qu'il se passe chez elle des scènes, qu'on n'a pu imaginer ou retracer sans un fonds inépuisable d'esprit et de gaîté.

L'idée première de la Noce sans Mariage est tout simple, c'est ce qu'on voit par-tout, puisqu'il ne s'agit que d'empêcher un hymen où les droits de l’amour ont été méconnus : depuis Pourceaugnac jusqu’à la Mort sans mariage, il serait difficile d'énumérer les comédies qui ont cette idée pour sujet ; aussi ne s'agit-il ici, que du choix des moyens des ressorts employés, de leur combinaison, de leur opposition et de leur jeu, de la peinture des caractères, et des détails dont le dialogue se compose, et sous presque tous ces rapports l'auteur mérite tous les éloges auxquels ses succès l'ont accoutumé. Ce n'est pas que nous n'eussions désiré une action plus resserrée et une marche plus certaine, plus assurée, un plan mieux combiné dans son ensemble. Le second et le troisième actes languissent un peu ; l'action s'engage avec peine, son mobile m'est pas assez déterminé, et le nœud n'est pas assez fort : mais le premier acte est un des plus brillans qui existent : le quatrième et le cinquième sont d'un excellent comique, il n'est pas dans ces trois actes une scène qui ne soit écrite avec esprit, avec une gaîté, une verve, une chaleur qui entraînent le spectateur, l'intéressent et l'amusent à la fois. Traits de caractère, traits de moralité, réparties vives et fines, à propos heureux , bons-mots de situation, tableaux piquans, détails satiriques, applications de circonstance, allusions plaisantes ; voilà quel est le dialogue dont l'abondance est le seul défaut, dont il faudrait se résoudre à sacrifier quelque chose pour faire mieux sortir tout le prix de ce qui resterait. L'ouvrage a cependant un vice essentiel, c'est le défaut d'unité dans le caractère du fiancé qui ne se marie pas. Dans les deux premiers actes, c'est un homme habitué aux bonnes fortunes, exercé dans l'art de l'intrigue, vivant d'une industrie suspecte et cherchant à duper une honnête famille. Dans les trois derniers, c'est un crédule hypocondre, qui, sur la foi de deux médecins , dont l'un le trompe, et dont l'autre se trompe, croit qu'il est à l'article de la mort, renonce à un dédit, restitue une dot considérable, et ne reprend ses forces que quand on lui dit qu'on s'est moqué de lui. Certes, cette conception manque d'ensemble, et il est aisé de voir que l'auteur a assorti le caractère de son personnage, à la disposition des ressorts qu'il avait inventés pour le jouer. Mais ces ressorts ont une action et une réaction si vive, qu'on n'apperçoit qu'à peine le défaut dont nous parlons.

Une tante intéressée à ce que le mariage soit achevé ; un jeune médecin, ami de la prétendue et de celui qu'elle préfère en secret, sont les chefs des deux intrigues opposées : la noce est prête ; la municipalité attend les mariés ; l'église est préparée, la famille réunie ; les voitures sont à la porte ; le médecin n'a qu'un moment pour servir les deux amans ; en vain une jeune veuve envoie-t-elle une opposition appuyée d'une promesse de mariage ; en vain l'amant de la prétendue envoie-t-il un cartel, la tante obstinée va entraîner le cortége. Un troisième moyen est indispensable, c'est d'allarmer le prétendu sur sa santé, et de lui persuader qu'il est malade. L'hypocondre effrayé quitte son bouquet et prend une robe de chambre ; mais la tante s'empare à l'instant de l'intrigue, la renoue et la réchauffe : elle amène un procureur qui prouve l'opposition peu valable ; elle obtient un ordre qui doit faire partir le jeune amant pour son régiment ; elle amène un médecin qui doit trouver le malade imaginaire en bonne santé.

Pour le coup on croit que le prétendu se rassurera et se mariera ; mais, par la plus heureuse conception, les moyens, imaginés par la tante, tournent contre elle. Le jeune officier va tomber aux genoux de son oncle qui est général, et en obtient l'aveu, pour son mariage : le procureur de la jeune veuve, éclairé par la conformité des noms, prouve que le prétendu est un intrigant criblé de dettes ; et le médecin appellé pour le déclarer bien portant, trouve la maladie superbe, ordonne les remèdes les plus violens, et contribue, par cette situation du meilleur comique, à tellement effrayer le malade imaginaire, qu'en lui parlant du moment solennel où il se trouve, et des souvenirs qu'il doit laisser après lui, on parvient à allarmer sa conscience, à lui faire restituer la dot reçue, et rendre le dédit signé.

A cette piquante et vive combinaison de moyens, et aux détails d'un dialogue plein de feu et de saillies, il faut ajouter un mérite essentiel, celui du jeu, franc et comique de tous les acteurs. Picard les anime, les excite, les entraîne ; ils sont sûrs de leur mémoire, et ont un ensemble parfait. Vigny, pour justifier la seconde partie de son rôle, a senti, en comédien habile, qu'il fallait donner une physionomie ridicule à la première, et il a su donner à ce ridicule assez d'originalité. Quant à Picard jeune, dans le rôle du vieux médecin, qui veut qu'on expédie , et qui trouve toujours malades ceux qui le font appeller, il est si vrai de ton, et si expressif de physionomie, qu'il en est, sans exagération, effrayant : c'est le docteur Tue en personne ; le contraste de sa doctrine expéditive, avec celle hypocratique, du jeune médecin, est très-habile ; Picard ici n'a pas voulu imiter Molière, il a jugé trop dangereux de se brouiller avec le corps tout entier, et il a mis de son côté l'école moderne. C'est un trait comique qui ne peut lui échapper à lui-même, et qui pourrait bien un jour lui fournir une scène.

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