Blanche et Montcassin, ou les Vénitiens

Blanche et Montcassin, ou les Vénitiens, tragédie en cinq actes, en vers, par le C. Arnault. 25 Vendémiaire an 7 (16 octobre 1798).

Théâtre de la République

Titre :

Blanche et Montcassin, ou les Vénitiens

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

25 Vendémiaire an 7 (16 octobre 1798)

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

Arnault

Almanach des Muses 1800

Le marquis de Bedmar, ambassadeur d'Espagne à Venise, a conspiré contre la République. Le sénat a décrété la peine de mort contre tout noble Vénitien qui mettrait le pied dans l'hôtel d'un ministre étranger.

Montcassin est Français ; il a rendu des services éminens à la république de Venise, qui les a reconnus en l'élevant au rang de noble Vénitien. Il aime Blanche, fille du noble Contarini, et il en est aimé ; mais le père protège le noble Capello, et veut en faire l'époux de Blanche ; il a donc défendu à sa fille de revoir Montcassin. La défense est violée, les amans sont ensemble ; ils se jurent à la face des autels une fidélité éternelle ; on annonce Contarini. Montcassin craint d'exposer sa maîtresse à la colère d'un père dur et barbare ; il n'a qu'un moyen de se sauver, c'est par une issue qui communique au palais de Bedmar. Il y est, il a transgressé la loi rendue par le sénat, il est coupable, il est arrêté. Cependant Contarini presse l'hymen de sa fille avec Capello ; ils sont aux pieds des autels, Capello a prononcé le serment ; Blanche a perdu connaissance, la cérémonie est remise au lendemain. Bientôt Contarini est sommé de se rendre au tribunal des dix, dont il est membre. Il s'y rend avec son collègue Capello, et un troisième noble qui lui est tout dévoué. Montcassin y est déjà traduit ; Il sait le nom de ses juges, il prévoit son sort, mais il ne le redoute pas, parce qu'on lui apprend que dans la nuit même, Blanche a secrètement épousé Capello. L'accusé est renvoyé dans une chambre voisine. Les juges sont assemblés, deux ont prononcé l'arrêt de mort de Montcassin. Capello seul refuse de signer ; mais Montcassin paraît, s'avoue coupable, Capello signe. Un témoin demande à être entendu ; c'est Blanche. Elle vient justifier son amant, elle explique le crime qu'on lui reproche. Capello s'est attendri, il révoque son arrêt, il veut en empêcher l'effet. Il n'est plus temps, Montcassin a été exécuté.

Tragédie qui a été représentée avec beaucoup de succès.

Des moyens qui n'ont point paru tous également tragiques, de la langueur dans les premiers actes, quelques négligences dans le style ; mais, en général, de légers défauts couverts par de grades beautés, des caractères bien dessinés, des situation intéressantes, des vers touchans,et un cinquième acte d'un effet terrible.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Demonville, an septième :

Blanche et Montcassin, ou les Vénitiens, tragédie en cinq actes, Représentée pour la première fois, sur le Théâtre Français de la République, le 25 Vendémiaire an 7. Par le C. Arnault.

Et chez eux la justice a l'air de la vengeance.

Ducis, Othello, acte III.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 4e année, 1798, tome III, p. 550-555 :

[Le compte rendu suit scrupuleusement les étapes nécessaires d’une critique dramatique. Il commence par rappeler le contexte historique de l’action, la conjuration de Venise du duc de Bedmar, et les pièces qui en ont été tirées : la Venise sauvée de Laplace (1746, « imitée de l’anglais d’Otway ») et le Manlius Capitolinus de Lafosse (1698), qui transpose l’action à Rome. Mais s’il a « établi son plan sur les suites de cette conjuration », Arnaud a entièrement inventé l’intrigue de sa pièce (ce qui à nos yeux la rend moins historique). Le critique montre qu’elle repose sur une question essentielle, celle de l’impossibilité de permettre un mariage entre un patricien et quelqu’un qui ne l’est pas, quel que soit par ailleurs son mérite. Après ces préliminaires, on passe au résumé de l’intrigue (ce qui est appelé généralement l’analyse). Cette intrigue tourne autour de deux points essentiels : l’impossible mariage de Blanche et de Montcassin (le père de blanche veut lui faire épouser un patricien, Capello), et la question politique de la légitimité des lois et du système judiciaire dans une société aristocratique. Surprise en tête à tête avec Montcassin, Blanche se voit imposer le mariage avec Capello, et Montcassin, arrêté dans la demeure du duc de Bedmar, se voit jugé au nom d’une loi qui condamne à mort tout sénateur surpris chez un ambassadeur étranger (et Montcassin, par sa valeur, a acquis le titre de sénateur). Le procès mené par des juges aux intérêts différents (le père de Blanche, Capello qui doit l’épouser, mais qui se montre soucieux de justice, et Loredan, « juge rigoureux et inflexible ». Malgré les efforts de Capello, Montcassin est condamné à mort. Pendant que les juges reçoivent Blanche venue témoigner, le père de celle-ci fait exécuter en hâte Montcassin. Blanche voit le cadavre de son amant, et meurt sous le choc de cette vision. Et la pièce s’achève sur les propos de Capello, qui « prédit la destruction du gouvernement vénitien. Troisième étape : il s’agit de juger cette pièce « qui a fait plaisir ». Le critique note que « très-peu d’endroits ont été désapprouvé », et que le cinquième acte « a produit le plus grand effet ». Interprétation remarquable, costumes « justes, riches et imposans » (il faut que les costumes soient conformes à « la réalité » de la société patricienne de Venise au XVIIe siècle (la conjuration espagnole du Duc de Bedmar date du printemps de 1618). La suite du compte rendu est moins positive : un certain nombre de reproches vont être faits à la pièce. D’abord, elle est trop longue, et trois actes suffiraient : on éviterait ainsi le vide des trois premiers actes, où « l’intérêt n’est pas assez vif ». Ensuite, si « le sujet [est] terrible et touchant », on peut lui reprocher d’être « contraire à la vérité historique ». Son tort : supposer une loi qui n’a jamais existé à Venise. Or, si l’auteur est libre d’« inventer la fable de son drame », il ne doit pas aller à l’encontre des lois, mœurs et usages du peuple mis en scène. C’est plus important que le respect des costumes, et l’exemple donné par Arnaud est dangereux « il est important de ne pas induire en erreur ceux qui font leurs cours d'histoire dans les spectacles. Pour ce qui est des caractères, le critique les justifie, même celui de Contarini, jugé « odieux », « on ne peut représenter la vertu malheureuse et souffrante sans offrir aussi ses oppresseurs ».] La conclusion a le mérite de la concision : « Cet ouvrage ne peut qu'ajouter à la réputation de sou jeune auteur ».]

On a donné, le 25 vendémiaire, au théâtre français de la République,une nouvelle, tragédie du citoyen Arnaud (1), attendue depuis longtemps.

L'époque de l'action est celle de la conjuration de Venise par le duc de Bedmar, conjuration qui a déjà fourni le sujet de la belle tragédie d'Othwai, Venise sauvée (Venise preserved), mise sur notre scène par Laplace, et que Lafosse avoit plus heureusement imitée dans son Manlius, en agrandissant son sujet par la célébrité du principal personnage et par cet intérêt attaché à tout ce qui est relatif à l'histoire de la République romaine.

Le citoyen Arnaud a établi son plan sur les suites de cette conjuration ; mais la fable est entièrement de son invention. Mont-Cassin, jeune Français, est devenu amoureux de Blanche, fille du sénateur Contarini. Le sang patricien ne peut se marier qu'au sang patricien : le conseil n'autoriseroit pas toute autre alliance. Mont-Cassin, à qui tout est possible pour mériter sa maîtresse, rend son nom glorieux. Deux fois sa valeur a sauvé Venise : un triomphe magnifique, 1e titre de noble Vénitien et la dignité de Sénateur sont le prix éclatant de ses services et de ses exploits.

La scène s'ouvre le jour qu'il a reçu cette marque d'honneur. Le sénat, que la dernière conjuration a rendu plus ombrageux, porte une loi qui punit de mort tout sénateur surpris dans la maison d'un ambassadeur étranger. Cette loi sanguinaire est attaquée par Capello, et défendue par Contarini : la famille de celui-ci est depuis long-temps ennemie de celle du premier. Capello propose de réunir les deux maisons par l'hymen de Blanche. Son offre est accepté e; Contarini dispose sa fille à recevoir la main du plus grand héros dont s'honore Venise. Le plus grand héros de Venise ne peut être pour elle que Mout-Cassin. Elle accepte avec joie ; mais on conçoit son désespoir en apprenant son erreur, et que c'est Capello qu'il lui faut épouser. En vain Blanche et Mont-Cassin emploient-ils tout ce que l'amour peut leur inspirer pour attendrir Contarini ; il est inflexible, Mont-Cassin pénètre dans sa maison pendant la nuit ; il s'unit à Blanche par de nouveaux sermens; il l'engage à le suivre, mais elle veut tenter un nouvel effort. Au moment où Mont-Cassin va sortir, Contarini entre : il faut déshonorer Blanche, ou trouver une autre issue ; la seule possible est la maison du duc de Bedmar. Le généreux Mont-Cassin ne balance pas entre le danger d'être surpris, et celui de déshonorer celle qu'il aime. Cependant Contarini amène un prêtre catholique ; il menace Blanche de se percer à ses yeux d'un poignard caché, et de la rendre ainsi parricide si elle ne reçoit pas la main de Capello. Blanche, au moment de prêter le serment, s'évanouit ; on vient annoncer que Mont-Cassin, arrêté dans la maison du duc de Bedmar, doit être jugé par le conseil des trois.

Mont-Cassin est introduit par le secrétaire; il apprend le nom des trois inquisiteurs ; Contarini, le barbare père de Blanche; Capello, son rival, Loredan, juge rigoureux et inflexible. Les trois juges s'assemblent ; le généreux Capello fait l'impossible pour trouver, dans la déclaration de Mont-Çassin, quelque circonstance atténuante ; il veut apprendre de lui, pour le sauver, la raison qui l'a engagé à violer la loi. Mont-Cassin, retenu par l'honneur, s'obstine au silence : on l'éloigne. Contarini et Loredan votent sa mort. Capello voudroit différer le jugement ; il fait tous ses efforts pour persuader à ses collègues d'attendre encore avant de prononcer l'arrêt fatal ; mais enfin, obligé lui-même par la loi dont il n'est que l'interprète, il le signe à regret. Soudain on annonce un témoin qui veut se faire entendre ; il entre; c'est Blanche : tout est connu. Capello veut que l'exécution soit différée ; il veut conduire Blanche au sénat, et faire abolir une loi sanguinaire et odieuse ; mais en soulevant le rideau de la chambre voisine, il aperçoit Mont-Cassin étendu, dont le barbare Contarini a fait hâter le supplice. Blanche expire à cette vue. Capello, après avoir montré à Contarini ses deux victimes, va déposer une magistrature qui lui semble criminelle, et prédit la destruction du gouvernement vénitien.

Cet ouvrage a fait plaisir. En général très-peu d'endroits ont été désapprouvés, et le dernier acte a produit le plus grand effet. Les citoyens Talma et Baptiste, dans les rôles de Mont-Cassin et de Capello, ont obtenu des applaudissemens nombreux et mérités. La citoyenne Vanhove, dont l'organe sensible a donné à son rôle une expression touchante, a été demandée après le spectacle et a paru. Les costumes sont justes, riches et imposans.

Quoique l'ouvrage ait réussi, peut-être son effet seroit-il plus sûr et plus prononcé s'il pouvoit être réduit en trois actes. Le véritable danger des deux amans, la terreur et la pitié, qui sont le but de la tragédie, ne commencent guère qu'à la fin du quatrième acte, quand Mont-Cassin se sauve par l'hôtel de Bedmar ; de sorte que l'intérêt n'est pas assez vif dans les trois premiers. C'est ce qu'il appartient au citoyen Arnaud d'examiner.

On ne peut nier que le sujet ne soit terrible et touchant : le seul reproche qu'on puisse lui faire est d'être contraire à la vérité historique. Il est certain que les sénateurs vénitiens ne pouvoient avoir aucun commerce avec les ministres étrangers; c'étoit un usage observé à Venise, mais point une loi ; du moins aucun des voyageurs dont j'ai lu les descriptions, et Arnelot de la Houssaie, qui a écrit une longue histoire du gouvernement de Venise, n'en parlent point, et encore moins que la loi ait prononcé la peine de mort contre son infracteur.

Si nous faisons cette observation, c'est que le poëte peut inventer à son gré la fable de son drame ; mais il doit être encore plus exact à conserver les lois, les mœurs et les usages du peuple chez lequel il place son action, qu'à observer les costumes. La violation de cette règle par un homme de talent comme le citoyen Arnaud, peut avoir des suites funestes. Il est important de ne pas induire en erreur ceux qui font leurs coins d'histoire dans les spectacles.

Le caractère de Contarini a paru odieux ; mais c'est celui d'un père cruel, d'un ambitieux exagéré, d'un homme barbare et inexorable : et n'y en a-t-il pas de cette espèce ? On ne peut représenter la vertu malheureuse et souffrante sans offrir aussi ses oppresseurs. Le rôle de Blanche est plein de noblesse et de douceur, et celui de Capello a réuni tous les suffrages. Cet ouvrage ne peut qu'ajouter à la réputation de sou jeune auteur.

(1) Le citoyen Arnaud a marqué son entrée dans la carrière dramatique par des succès : il est auteur de Marius à Minturnes, de Lucrèce, de Fabius et d'Oscar.

 

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-huitième année), tome II (novembre 1798, brumaire, an VII), p. 226-235 :

[Long compte rendu d’une pièce très attendue : le critique voit en elle le retour sur la scène de l’« idée tragique » après une année vierge de toute tragédie (mais la pièce nouvelle n’est pas tout à fait une tragédie). Et il commence son article par une présentation du nœud de la pièce, plutôt que par une analyse acte par acte, par souci d’être compréhensible (comment comprendre la suite des événements d’une pièce dont on ne connaît pas le sujet. Puis il entreprend un résumé de l’intrigue, mais en étant très fortement impliqué dans ce récit  sans cesse il manifeste son enthousiasme devant l’habileté qu’il reconnaît dans la manière dont l’auteur a traité son sujet. Curieusement, c’est par l'analyse de l’acte IV, l’acte où les amants surpris par le père de Blanche doivent se séparer précipitamment, et Moncassin entrer chez Bedmar le diplomate espagnol, que l’auteur commence avant de passer au cinquième acte, celle du tribunal. Ce tribunal est présenté comme la reproduction exacte de la salle de Venise. Cette séance du tribunal est décrite avec précision, avec tous les rebondissements qui conduisent à lz terrible fin de Montcassin. Ces deux actes ont « obtenu tous les suffrages », sauf pour le moment où le père menace sa fille de se donner la mort si elle refuse le mariage qu’il lui impose : montrer un poignard sur scène, quel mauvais goût ! Reste à parler des trois premiers actes ? Ils « sont une avant-scène jouée sur le théâtre, une exposition claire, habilement développée & semée de traits ingénieux, du sujet & des caractères de la pièce », bouleversement de la structure d’une tragédie que le critique n’approuve ni ne blâme (il est plutôt embarrassé : la pièce est pour lui une excellente pièce, mais elle contrevient aux principes les plus élémentaires de construction d’une tragédie). De plus, c’est dans le deuxième acte que se trouve un épisode qui paraît déplacé, une sorte de moment de comédie, un quiproquo sur l’identité du mari que Blanche se voit proposer par son père. La fin du compte rendu s’attaque à la question de l’écriture. Il s’agit de parler de « quelques légères taches dans une versification en général élégante, variée & forte », que l’auteur ferait bien de faire disparaître. On voit défiler successivement la répétition d’un hémistiche, procédé qu’on doit utiliser avec modération (sans doute Arnault en a-t-il abusé), expression inacceptable (avec une considération intéressante sur ce qu’on ne peut écrire en vers, et ce qu’on ne peut écrire ni en vers, ni en prose), un vers où les deux hémistiches riment entre eux. Mais ces « légères taches ne doivent faire oublier ni les nombreuses « beautés de situation, de sentiment » que la pièce contient : beauté du plan, force de la représentation de Venise au temps de sa splendeur, peinture des caractères, qualité des acteurs. La phrase de conclusion promet la réussite à la pièce, et à son auteur.]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

BLANCHE & MONTCASSIN, ou les Vénitiens.

La muse tragique endormie depuis près d'une année, s'est réveillée par un triomphe. L'auteur de Lucrèce, de Marius & d'Oscar, le C. Arnault , est allé puiser dans les caractères & les gouvernemens d'Italie, une idée tragique, sombre, forte, & en a fait le fondement d'un drame où l'art des détails fait valoir le bonheur du sujet.

Cette idée première, la voici : un amant, aimé en dépit de la volonté du père de son amante & de l'amour de son rival, est traduit, comme accusé, devant un de ces tribunaux redoutables qui frappent dans l'ombre & en silence, & où il trouve dans ses juges le père & le rival que son amour a offensés.

J'ai commencé par exposer le nœud de la pièce, ayant observé qu'il est très-difficile de faire comprendre au lecteur l'intrigue d'une pièce qu'il n'a pas vue, lorsqu'on la lui développe en commençant par le commencement & en finissant par la fin. En effet, les personnages qu'on lui nomme, sont pour lui des êtres abstraits, sans figure sensible, qu'il ne peut distinguer les uns des autres que par les voyelles & les consonnes dont leurs noms se composent, & auxquels, par conséquent, il ne s'attache pas.

Tâchons cependant de faire connoître dans ses détails la tragédie du C. Arnault.

Pour amener son héros devant le tribunal des Trois, & en même temps pour qu'il restât intéressant, il falloit le rendre criminel sans qu'il fût coupable; & pour qu'il devînt très-intéressant, il falloit que son crime eût pour cause son amour. Ce crime est d'avoir été surpris dans la maison de l'ambassadeur d'Espagne à Venise, de ce même marquis de Bedmar, dont la conspiration vraie ou supposée, a fourni à St.-Réal son excellent morceau d'histoire ou de romans. L'auteur suppose qu'après que la conspiration de Bedmar fut découverte, le sénat de Venise décréta la peine de mort contre tout noble vénitien qui mettroit le pied dans l'hôtel d'un ministre étranger. Montcassin est noble vénitien ; il vient d'être élevé à cette dignité, quoique français, en récompense des services éminens qu'il a rendus à la république.

Mais à la suite de quel événement est-il saisi chez Bedmar ? Le voici, & ce sera l'analyse du quatrième acte Le théâtre est une chapelle commune à l'hôtel de Bedmar & à celui du père de Blanche, le noble Contarini. Blanche a choisi ce lieu pour y voir une dernière fois son amant, parce qu'à cette heure avancée du jour, une chapelle est le lieu le moins fréquenté d'une maison. Montcassin arrive, malgré les ordres du père qui lui avoit défendu de revoir sa fille. Il la presse de fuir avec lui, & d'aller en France sceller leur union. Elle hésite. Son père est dur & barbare, mais elle n'a pas encore tenté les derniers efforts pour l'attendrir ; quitte-t-on sa famille & sa patrie sans éprouver de violens combats ! Montcassin croit que son amante n'hésiteroit pas s'il en étoit bien aimé ; pour le rassurer, elle s'approche de l'autel & de l'hostie, & prend à témoin ce Dieu des catholiques de la sincérité de son amour. Montcassin s'en approche également, & tous deux se jurent en présence du saint-sacrement une éternelle fidélité.

Dans cet instant, ils sont avertis que ce père de Blanche s'approche. Déjà il est avec des valets, des flambeaux & des amis, à l'extrémité du corridor, seule issue que la chapelle ait du côté de sa maison. Montcassin ne redoute point ses violences ; mais il ne veut pas compromettre l'honneur de sa maîtresse : il fuit par l'autre issue, celle qui communique au palais de Bedmar.

Contarini paroît, déclare à sa fille qu'elle va épouser le noble Capello, à l'instant même, dans cette chapelle. L'époux, le prêtre, les témoins, tout est prêt. C'est secrètement que ce mariage doit se célébrer, car il faut savoir que Contarini & Capello sont membres du conseil des dix, & que pendant la durée de leurs fonctions, la loi ne veut point qu'ils soyent publiquement alliés. Blanche refuse. Mais le père a dit à son gendre futur qu'elle consentoit à cette union : il n'est pas possible qu'il essuye un démenti.

Ce caractère de Contarini est bien soutenu. Il est le même depuis le premier jusqu'au dernier mot qu'il prononce : orgueilleux, dur, dans le sénat, chez lui, envers ses ennemis, avec ses amis, toujours partout.

Blanche refuse, dis-je. son père, lui montrant un poignard, lui déclare qu'il aime mieux mourir que de laisser croire qu'il a promis par delà son pouvoir, & que si elle dit non devant le prêtre, il se tue. Avant qu'elle ait le temps de répondre, le prêtre & le futur arrivent : la cérémonie commence ; Capello prononce le serment conjugal; Blanche est hors d'état de le prononcer : elle perd connoissance.

Pendant ce trouble, un familier de l'inquisition d'état, à qui ses fonctions donnent le droit de pénétrer partout, vient sommer Contarini de se rendre au tribunal. ll s'agit de juger un noble qui a contrevenu aux lois. Capello le suit. La cérémonie est remise à la nuit suivante.

Au cinquième acte, on est dans la salle de l'inquisition d'état, tribunal composé de trois juges toujours inconnus. Hors le conseil des dix, personne ne sait ni quels ils sont, ni quand ils entrent en place, ni quand ils en sortent. Ils ont pouvoir de vie & de mort sur le Doge lui-même. Ici ils rendent leurs jugemens ; dans la salle voisine on les exécute. Mais il faut que leurs opinions soyent unanimes ; si un seul est d'avis d'absoudre, l'accusé est absous.

Le lieu de la scène a, dit-on, été dessiné à Venise même. L'idée de l'exacte représentation du local ajoute à l'effet de l'action. Le tribunal n'est pas encore assemblé. Monicassin est amené. L'officier lui révèle le nom de ses trois juges. Le premier est Contarini, dont il a excité le courroux, qu'il a bravé le matin même ; le second est un noble dévoué à Contarini, le troisième est son rival, Capello. Il prévoit son sort, mais ne le redoute plus du moment qu'il apprend que sa maîtresse a été secrètement mariée, dans la nuit même, à Capello. C'est ce même familier de l'inquisition d'état, témoin accidentel de la cérémonie , qui lui en révèle le
secret.

Le tribunal s'assemble. L'accusé frémit en voyant ses juges, qui frémissent en voyant l'accusé, qu'on fait passer dans la salle voisine. Les deux premiers juges prononcent la mort : le généreux Capello refuse d'immoler son rival ; mais Montcassin avoue tout, se confesse criminel ; mais Contarini représente à son collègue qu'une fausse grandeur d'âme lui fait transgresser la loi ; qu'il absout un rival qu'il condamneroit, si ce rival étoit un étranger. Capello se rend, il signe.... la mort. Cependant un témoin demande à être entendu ; il est introduit : c'est Blanche, Dieu ! ses juges ! Quels ils sont ! N'importe ; elle révèle la cause secrète du délit de Montcassin : ce n'étoit point le marquis de Bedmar qu'il alloit voir ; il venoit de recevoir les sermens de son amante & de lui faire les siens. Contarini courroucé veut imposer silence à sa fille ; mais elle, indignée d'avoir trouvé dans un père une inflexibilité qu'elle n'auroit jamais éprouvée de la part d'un juge, s'écrie par un beau mouvement :

Magistrat abusé, souffrez qu'on vous éclaire :
Je suis devant mon juge & non devant mon père.

Capello, dont l'âme grande est attendrie, révoque son arrêt & court se jeter entre la mort & son rival ; mais en ouvrant le rideau qui sépare cette salle de la salle voisine, on voit Montcassin déjà exécuté.

Dénouement terrible ! mais qu'il étoit impossible d'exécuter autrement, à moins d'en faire un dénouement d'opéra-comique.

Ces deux derniers actes font le plus grand honneur au poëte tragique ; ils ont obtenu tous les suffrages, à l'exception du moyen qu'employe Contarini pour déterminer sa fille à donner sa foi à Capello, de ce poignard dont il menace de se frapper si elle résiste. Quelques murmures du public ont conseillé à l'auteur de changer cet endroit.

Mais, dira-t-on peut-être, voilà toute la pièce dans ces deux derniers actes ; que sont donc les trois premiers ?

Les trois premiers sont une avant-scène jouée sur le théâtre, une exposition claire, habilement développée & semée de traits ingénieux, du sujet & des caractères de la pièce. Est-ce une critique ? Est-ce un éloge ? Je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, on a blâmé assez généralement, dans le commencement du second acte, un quiproquo qui n'est point nécessaire au nœud ni au dénouement, & qui ne produit que quelques scènes de comédie. Contarini dit à sa fille qu'il lui a destiné un héros, un noble vénitien, auquel la patrie a dû plusieurs fois son salut, & il ne lui nomme pas Capello ; la jeune personne qui seroit en droit de lui dire, comme Angélique dans le Bourru bienfaisant : Oserois-je vous demander le nom du jeune homme ? est convaincue qu'on lui a parlé de Montcassin ; elle en témoigne heaucoup de joie, de quoi le rival dédaigné vient lui faire ses remerciemens. C'est en vain qu'un vers aimable, un vers de sentiment, demande grâce pour cet épisode :

Me parler d'un héros, n'est-ce pas te nommer ?

dit Blanche. On a applaudi le vers & condamné l'épisode que l'auteur seroit bien peu être de supprimer. Au reste, il n'est pas donné à tous les poëtes de ne pouvoir effacer un défaut sans
sacrifier une beauté.

Si l'auteur donne encore quelques touches à un ouvrage qui en est si digne à tous égards, je l'engagerai à faire disparoître quelques légères taches dans une versification en général élégante, variée & forte. Un hémistiche répété à propos, produit quelquefois un très bon effet : mais ce moyen, si l'on y a recours plusieurs fois, comme dans cet ouvrage , il avoisine l'affectation. On trouve en un endroit : Vous m'observez, au lieu de : Vous me faites l'observation, &c. Aucune de ces deux locutions ne peut s'employer en vers ; mais la première, dans ce sens, ne doit s'employer ni en vers ni en prose. Vous m'observez veut dire vous m'examinez, & ne veut jamais signifier vous me faites observer. Voltaire a dit : En fait de langue, ce sont les cuisinières qui font la loi ; mais les bons écrivains doivent leur ravir cet honneur autant qu'il est possible.

Si ma mémoire ne me trompe, je crois avoir entendu ce vers & quelques autres auxquels on peut faire un reproche, au fond de peu de conséquence.

                     …. les différens
Qui n'ont que trop
long-temps divisé nos parens.

Les deux hémistiches d'un même vers ne doivent pas rimer ensemble : c'est bien assez que les vers riment par la fin.

Mais quelle quantité de beautés de situation, de sentiment, couvrent ces légères taches ! Quel talent dans le développement de ce plan vraiment dramatique ! On y voit Venise telle qu'elle étoit au temps de sa splendeur ; tout y est rappelé : la pompe de son sénat, la politique de son gouvernement, les rivalités de familles si communes dans les républiques olygarchiques ; le livre d'or & l'affiliation des étrangers au patriciat; la jalousie, la superstition des Italiens ; le courage brillant, l'amour héroïque, la générosité du caractère français. Quelle habileté dans la peinture variée & toujours soutenue de tous ces caractères ! J'ai dit que dès le premier vers qu'il prononce, Contarini se montre tel qu'il reste jusqu'à la fin : j'aurois dû ajouter que tous les rôles ont le même mérite. Capello est jaloux, mais noble, mais incapable de persister dans son amour si on ne l'avoit pas abusé sur les véritables sentimens de celle qu'il aime. Montcassin a l'inquiétude qui suit toujours une passion violente, Blanche ne ressemble point à ces amoureuses fades qu'on rencontre trop souvent dans nos pièces françaises ; elle aime avec chaleur, mais elle est pure. Et que l'effet de ces rôles est puissamment secondé par les acteurs qui les jouent ! On peut dire que très peu de pièces, & seulement quelques-unes des tragédies jouées sur l'ancien théâtre de la République, ont eu l'avantage d'une exécution aussi parfaite jusque dans ses accessoires. Le C. Vanhove a surmonté avec courage les dégoûts du rôle ingrat de Contarini. La citoyenne Vanhove a rendu celui de Blanche avec l'intelligence & le sentiment qui la caractérisent. Les CC. Baptiste & Talma ont joué leurs personnages en acteurs consommés. On a surtout applaudi le dernier, à ces vers qu'il a prononcés avec feu, dans une scène où Contarini lui reproche d'avoir séduit sa fille ; il s'en défend :

CONTARINI.

N'êtes-vous pas aimé ?

MONTCASSIN.

                                      Je suis aimé, mais j'aime ;
Mais, comme elle, trompé par un espoir vainqueur,
Je suis séduit comme elle & non pas séducteur.

Cette tragédie promet de nombreuses représentations, & à son auteur un surcroît de réputation & d'estime.

Dans la base César : 15 représentations, du 16 octobre au 5 décembre 1798, au Théâtre Français de la rue de Richelieu.

Blanche et Montcassin a fait l'objet d'une parodie, Franche et Monmutin, jouée 11 fois au Théâtre du Vaudeville, du 5 novembre au 25 décembre 1798.

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