Désirée, ou la Paix de Village

Désirée, ou la paix du Village, allégorie en un acte, en prose et en vaudeville, des citoyens Gaugiran-Nanteuil, Moras et Étienne, 5 germinal an 9 [26 mars 1801].

Théâtre de l'Opéra Comique National

Almanach des Muses 1802

Second tome de l'allégorie ci-dessus [voir infra, L'Esquisse d'un grand tableau]. Querelle entre M. Franc et M. de Laigle entretenue par M. Trident. La sagesse du premier triomphe des subtilités de ses adversaires, et fait conclure une paix desirée. Même objet, mêmes défauts que dans la précédente ; même rigueur de la part du public.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez les auteurs, an 9 (1801) :

Desirée, ou la Paix du village, allégorie en un acte, en vaudevilles. Par les CC. GAUGIRAN-NANTEUIL, MORAS et ETIENNE. Pièce qui devait être représentée, pour la première fois, sur le théâtre Français de la République, le 27 ventôse an IX. Défendue, le 26, par le ministre de l'intérieur, à la comédie française. Et jouée, le 5 germinal, sur le théâtre Favart.

La page de titre résume bien l’histoire de la pièce avant sa création : destinée au Théâtre Français, elle est interdite la veille de la date prévue (le 18 mars 1801) et n’est jouée que quelques jours après, mais sur un autre théâtre.

Elle est dédiée au général Bonaparte :

AU GENÉRAL BONAPARTE.

De la Paix, général, en vous faisant hommage;
    Nous croyons acquitter une dette d’honneur ;
            C’est tout bonnement un ouvrage
            Que nous rendons à son auteur.

La liste des personnages et le texte de la pièce sont précédés d’une sorte de préface :

[Dans un court texte écrit avant la représentation au Théâtre Favart, les auteurs dénoncent la façon dont leur pièce a été rejetée du Théâtre Français par des intrigues qu’ils jugent honteuses, avant de remercier tous ceux qui les ont accueillis, sociétaires du Théâtre Français comme du Théâtre Italien : ils ne sont pas responsables des cabales qui ont conduit à l’exclusion de leur pièce.]

Cet ouvrage n’est rien par lui-même ; mais le sujet qui l'a inspiré, les tracasseries qu'il a attirées à ses auteurs, et plus que tout cela, le talent des acteurs qui en remplissent les divers rôles, en feront peut-être quelque chose aux yeux du public. Desirée ou la Paix du Village fut destinée, dès sa naissance, aux Italiens ; mais ce théâtre ayant déjà un ouvrage sur le même sujet, elle fut lue aux Comédiens Français, qui la reçurent à l'unanimité, et qui étaient sur le point de la jouer lorsqu'un ordre supérieur bannit à jamais de la Scène Française le genre du Vaudeville. Cette mesure, bonne en elle-même, devait-elle être prise au moment où ses artistes estimables s'apprêtaient à chanter la paix ? Nous laissons le public juge de cette observation, Faudra-t-il aussi lui dévoiler la conduite déshonorante d'un littérateur qui, refusé à l'unanimité, sollicite du ministre de l'intérieur un ordre pour faire jouer sa pièce de force, et, pour l'obtenir plus facilement, dénonce ou fait dénoncer diverses phrases de notre vaudeville, prises isolément à une répétition où il avait eu la bassesse de s'introduire presque de force : ce sont de ces turpitudes qu'il est bon de couvrir d'un voile pour l'honneur de la république des lettres. Mais nous ne devons pas cacher au public que, nous avons préféré retirer notre pièce du théâtre Français que de souffrir une injustice qui tendait à faire passer avant notre pièce, reçue à l'unanimité, une comédie à l'unanimité refusée. Au reste, on se ferait difficilement une idée de la jalousie générale qu'avait excitée, parmi les petits poëtes, l'accueil flatteur qu'avait eu le bonheur de recevoir des Comédiens Français de jeunes auteurs qui s'étaient présentés sans intrigue, et se faisaient jouer sans cabale. Les exclusifs qui exploitent le Vaudeville ont même fait une pièce pour chercher à jeter du ridicule sur les intentions des Comédiens Français, et ne cessent de crier à l'usurpation de leur genre, quand eux-mêmes l'ont introduit au théâtre de la République, dans le Buste de Préville.

Notre vaudeville, objet de tant de petites envies, a été enfin lu au théâtre Italien : et comme nous écrivons cet article avant la représentation, nous desirons qu'il soit reçu du public avec la même bonté que nous ont témoignée les sociétaires des deux théâtres Italiens et Français, dont les égards et les procédés nous ont plus que dédommagé des injustices' que nous avons éprouvées.

Courrier des spectacles, 6 germinal an 9 [27 mats 1801], p. 2 :

[Un prologue et une pièce, dans le grand combat qui oppose le Théâtre Favart, qui réclame le droit de monter des vaudevilles, et le Théâtre du Vaudeville, qui s'oppose à ce qu'il considère comme un casus belli : le vaudeville est son bien propre. Le prologue prend parti dans ce combat : les pères du vaudeville sont bien liés au Théâtre Favart, et le Théâtre du Vaudeville ne peut opposer à leurs créations que des œuvres inconsistantes, faites de calembours et de pointes, dont les couplets sont faits à grands coups de dictionnaire de rimes de Richelet. Ce prologue a rencontré un vif succès, mais la pièce qui suivait, cette Desirée ou la Paix du village a été mal accueillie.

Théâtre Favart.

Allons, Vaudevillistes, voilà le champ ouvert. Le gant jetté par le malin Vaudeville de la rue de Chartres, fut ramassé, et hier soir vers neuf heures les hostilités commencèrent, et qui sait quand elles finiront ? De quelque côté que soit l’avantage, en dernier résultat le public se sera bien diverti de ces querelles, où il est juge des coups que se porte chaque adversaire. Aujourd’hui que nous donnons à nos lecteurs la première relation du premier combat, ils sont sans doute impatiens de connoître le vainqueur. Entrons dans quelques détails ;

On sait le succès qu’obtint la Tragédie au Vaudeville, rue de Chartres. Les premiers traits partis de là provoquèrent la Confession du Vaudeville, prologue donné hier à Favart.

Panard et Favart, pères du Vaudeville, n'ont vu arriver depuis long-tems dans les Champs-Elisées que Marmontel et Fabre-d’Eglantine : une ombre nouvelle s’offre à eux ; c'est Bariolet, faiseur de vaudevilles, calembourgs, pointes, etc., composant des couplets de facture avec son Richelet.

Après lui vient un enfant dont la tête est surmontée d’un bonnet pointu ; et les mains armées d’une pointe. Ils ont peine à reconnoître le Vaudeville, qui sous leurs yeux reprend bientôt son premier costume.

Cette bluette est bien courte, mais il y a des couplets extrêmement piquans, tranchons le mot, méchans, qui pour la plupart ont été re[de]mandés.

Mais si les auteurs ont triomphé à cette première pièce, ils n’ont pas eu à s’applaudir autant à la seconde. Il étoit si facile, après avoir proclamé Favart le père du Vaudeville, de conserver son avantage en faisant représenter à la suite du prologue une des productions de ce charmant auteur. Pas du tout, on donne Désirée, ou la Paix du Village , et voilà que les auteurs, qui avoient gagné du terrein, sont obligés d’en céder à leur tour.

Desirée est une allégorie à la paix. C'est cette même pièce qui devant être jouée aux Français, donna naissance à la Tragédie au Vaudeville ; en voici le sujet :

Le Franc, maire, et M. de Laigle sont divisés par les intrigues de Trident ; le frère de de Laigle aime Desirée, fille de le Franc, et malgré les démarches et les attaques de Trident, il parvient à réunir les deux ennemis. A chaque vers, à chaque mot, ce sont des allusions, ingénieuses si elles étoient neuves, mais qui finissent par être fastidieuses.

Quelques jolis couplets n’ont pu masquer le côté foible de l’ouvrage, qui alla jusqu’à la fin avec assez de peine ; et les auteurs qui, après le prologue, avoient volontairement gardé l’anonyme, foiblement demandés après la seconde pièce, ne furent pas nommés.

F. J. B. P. G***.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an IX, troisième trimestre, n° 19 (10 germinal), p. 50-52 :

[Le prologue, la Confession du vaudeville a fait l’objet d’un compte rendu dans le Magasin encyclopédique, 6e année, 1801, tome VI, p. 278-279. Désirée y voit son sort réglé en quelques lignes.]

Théâtre de l'Opéra-Comique-National, rne Favart.

Desirée ou la Paix de Village, précédée de la Confession du Vaudeville, prologue.

Cette pièce est précisément celle que les Comédiens français ont affichée quelque-tems, et à laquelle ils ont renoncé. Quel que soit le motif du parti qu'ils ont pris, il semble qu'ils doivent quelque reconnaissance à ceux qui les ont empêchés de se compromettre doublement et par le choix du genre et par celui de l'ouvrage.

Malgré le respect qu'on doit à leurs talens, il est bien certain que tous leurs efforts n'eussent jamais pu soutenir cette malheureuse pièce, destinée à tomber, sur quelque théâtre qu'elle eût été donnée.

C'est encore l'Esquisse du grand Tableau, c'est-à-dire, une allégorie bien froide dans laquelle sont travestis les événemens et les. personnages.

C'est encore M. Le Franc, maire d'une commune, qui est en procès avec M de Laigle, procès suscité et entretenu par M. Trident ; mais la sagesse du nouveau maire triomphe des subtilités de ses adversaires et conclut une paix désirée.

Ajoutez à ce cadre insignifiant un personnage bouffon faisant le télégraphe sur le haut d'une tour, ce qui ajoute à la vraisemblance ; assaisonnez tout cela de couplets assez fades, et vous aurez tout juste le second tome de la pièce donnée dernièrement, au même théâtre, sur le même sujet, contre laquelle nous nous sommes élevés , avec tout le public.

Que l'expérience d'autrui n'éclaire pas un auteur, toujours sujet à l'aveuglement sur ses productions, je le conçois : mais que des comédiens, encore étourdis de la chute qu'ils ont éprouvée, consentent à subir la même épreuve avec les mêmes moyens, voilà ce qu'il est difficile d'expliquer. Il faut pourtant convenir que cette nouvelle allégorie est moins inconvenante que l'autre, sous le rapport des bienséances, mais elle n'est ni moins froide, ni moins mesquine pour le sujet. Travestir, ce n'est pas louer dignement, c'est parodier.

Il est à remarquer que le prologue avait dû faire mieux augurer du talent et de l'esprit des auteurs : quoiqu'il n'eût pas aux yeux des gens impartiaux et sensés, tout l'apropos qu'on a voulu lui donner, quoiqu'il fût en général plus amer que juste, et plus méchant que gai ; quoiqu'on s'y soit permis des personnalités toujours répréhensibles, on y avait applaudi avec raison une sorte d'invention piquante, quelques critiques fines et spirituelles, quelques couplets malins et bien tournés, et la satyre ingénieuse des pointes et des calembourgs ou de l'afféterie qu'on peut reprocher à quelques ouvrages de plusieurs modernes chansonniers. Le Vaudeville venant se confesser de ses torts dans les Champs-Elysées devant Panard et Favart, portant un chapeau pointu et un costume bizarre, armé d'une pointe au lieu de marotte et de grelots, et furieux contre M. Barriolet, qui l'a dénaturé, présente quelque chose de neuf et d'agréable, qui fait pardonner le sel un peu trop caustique de l'épigramme ; mais il ne fallait pas, ce me semble, généraliser contre le théâtre du Vaudeville, les reproches qui ne s'adressent qu'à très-peu d'ouvrages de son répertoire, il ne fallait pas supposer tant de haine contre lui à Favart et à Panard, qui depuis dix ans y trouvent sûrement plus d'hommages dignes d'eux, qu'au théâtre qui les a repoussés constamment et qui a forcé leurs successeurs, les Piis, les Barré, les Radet, les Després, les Deschamps, les Desfontaines, les Ségur, les Phelippons, les Bourgueil, et quelques autres, à se chercher un asyle ; il ne fallait pas porter l'injustice et la mauvaise foi jusqu'à supposer au Vaudeville l'intention de déclarer la guerre à ceux qui veulent chanter la paix, quand il est de fait qu'il l'a chantée le premier et comme elle doit l'être, avec finesse, esprit et gaîté ; c'était montrer mal-adroitement de l'aigreur ; c'était désunir mal à propos les enfans du flonflon ; c'était entamer, pour des intérêts étrangers, une lutte trop inégale et pour le nombre et pour les armes.

Je crois cependant qu'on peut revoir avec plaisir la Confession du Vaudeville, surtout si les Acteurs du théâtre Favart s'appliquent davantage à ne pas justifier le reproche qu'on leur fait, d'avoir perdu, dans l'usage de chanter l'ariette, celui de chanter la chanson : mais il faut que les Auteurs renoncent à l'espérance de nuire au succès de la Tragédie au Vaudeville, et à celui d'une foule de pièces qui fondent la solidité du répertoire du théâtre de la rue de Chartres.

Paris pendant l'année 1801, par M. Peltier, volume 31, p. 136-142 :

[Jean-Gabriel Peltier (1760-1825) est un journaliste (fondateur des Actes des Apôtres). Ardent royaliste, il est contraint à l'exil après les événements d'août et septembre 1792 et il vit en Angleterre où il se montre un adversaire résolu de la Révolution, puis de Bonaparte qui lui intente en 1803 un procès en diffamation jugé à Londres. Il rentre en France sous la Restauration, et il mène une vie de misère à Paris. Son périodique Paris pendant l'année... paraît à Londres de 1795 à 1802 (35 volumes in-8°). Il y publie des « articles littéraires et politiques, la plupart du temps extraits des journaux parisiens de l'opposition, des attaques contre les gouvernements successifs de la France ainsi que des échos venimeux sur leurs membres » (Hélène Maspéro-Clerc, « Un journaliste émigré jugé à Londres pour diffamation envers le Premier Consul », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1971, 18-2 p. 262).

Le très long article reproduit ici doit bien sûr s'interpréter à la lumière des options politiques du responsable de la revue dans laquelle il a été publié, même si, ici, il intéresse surtout la vie des théâtres parisiens, à l'occasion d'une belle rivalité entre le Théâtre du Vaudeville, le Théâtre Français et la salle Favart.]

THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE NATIONAL.

Désirée, ou la Paix du Village, précédée de la Confession du Vaudeville, Prologue.

Les théâtres se font aujourd'hui la guerre sur la maniere dont on doit chanter la paix ; déjà trois puissances dramatiques se sont ébranlées ; mais le théâtre Français, le plus sage par la raison qu'il est le plus fort, s'est retiré sans combat ; il a plutôt annoncé que commis des hostilités. Le Vaudeville, le plus faible, & par conséquent le plus hargneux, s'est signalé par une vive escarmouche. Le Théâtre Favart, qui est une puissance du second ordre, a repoussé vivement l'attaque ; déjà les troupes de Vaudeville battaient en retraite, lorsque le vainqueur lui-même, tourné par un régiment de sifflets, a vu le cyprès funebre prendre la place de ses lauriers.

Le vaudeville gaulois chassé par l'ariette Italienne, forcé de céder à l'étrangere la maison paternelle, a long-tems erré sans domicile comme un enfant perdu ; mais depuis que la rue de Chartres lui a ouvert un asyle, chacun se dispute l'honneur de l'héberger ; le Théâtre du Vaudeville, son premier hôte, crie à qui veut l'entendre, comme Basile dans Silvain [Silvain est une comédie mêlée d'ariettes de Marmontel, créée en 1770, et Basile y est un jeune villageois] :

Tout le village me l'envie,
C'est un amour, une folie,
Chacun voudrait l'avoir à soi ;
Et moi je dis : Il est à moi,
Il est à moi, c'est pour la vie.

Cet empressement pour le vaudeville est assez bizarre dans le siecle des mathématiques ; mais ce qui est bien plus bizarre encore, c'est le caprice de la Comédie Française, qui s'était mis dans la tête de chanter. C'est assez pour elle de bien parler. Dans ce grand événement de la paix, qui a fait tourner la tête à tous les théâtres, l'Opéra s'est montré le plus raisonnable ; il est resté dans son genre & dans sa dignité, il n'a rien fait d'extraordinaire ; & s'il lui est arrivé d'ennuyer les auditeurs, il n'a fait qu'user de son privilége.

Les chansonniers de la rue de Chartres avaient raison de se moquer de cette fantaisie ridicule des héros du Théâtre Français, qui ne craignaient pas de souiller leur noblesse antique &, pour ainsi dire, de s'encanailler en admettant dans leur société un échappé des trétaux de la foire ; mais le Théâtre du Vaudeville aurait tort s'il s'imaginait être propriétaire exclusif des couplets ; ils appartiennent à quiconque sait en faire : c'est le genre le plus approprié à l'esprit de la nation Française, le genre où la France a une supériorité que personne ne conteste ; c'est l'apanage de tous les Français, c'est pour eux un bien patrimonial.

La villageoise Désirée, forcée par les tracasseries du vaudeville d'abandonner le palais de Melpomene, est venue se réfugier à l'Opéra-Comique dans les bosquets de Thalie & d'Euterpe : c'était sa véritable place ; mais l'ambition est aveugle ; les orgueilleux parens de cette bergere n'ont pu digérer l'affront fait à leur fille ; ils se sont vengés par une satyre sanglante, où dans des couplets très-méchans ils reprochent au vaudeville sa méchanceté & son goût pour la satyre.

La scene représente les Champs-Elysées ; Pannard & Favart s'étonnent de ne pas recevoir plus souvent des nouvelles de l'état actuel de la littérature Française ; Marmontel & Fabre d'Eglantine sont les seules ombres qui depuis long-tems aient été admises dans les Champs-Elysées.

   On ne s'attendait guerre
A voir Fabre dans cette affaire

& sur-tout dans ce lieu. Le couplet sur Marmontel est fade & commun, mais juste & vrai. Voici le madrigal à l'honneur de Fabre-d'Eglantine :

Moliere arrive ; à son aspect,
Chacun respectant son génie,
Tâche de suivre avec respect
Le pere de la comédie ;
Mais du Misantrope l'auteur
Pour les autres marche trop vite,
Et d'Eglantine a seul l'honneur
De composer sa suite.

Louange très-fausse, assaisonnée d'un mauvais calembourg : Regnard, Dufresny, Dancourt, Destouches sont des comiques bien supérieurs à Fabre dans toutes les parties essentielles de l'art, ils suivent Moliere de bien plusprès ; plusieurs autres poëtes se sont même placés au-dessus de l'auteur de Philinte par une seule piece : la Métromanie, le Méchant, & sur-tout Turcaret, tiendront toujours un rang plus distingué sur le Parnasse que la suite du Misantrope, & du moins auront l'avantage de se faire lire.

« On ne voit point arriver ici de chansonniers, dit Favart ; ceux qui existent seraient-ils immortels? – Je ne le crois pas, répond Pannard  : »

Je crains que le Vaudeville,
Sous le joug d'un exclusif,
Dans quelque coin de la ville
Ne soit retenu captif ;
Si l'enfant tarde à paraître,
On l'arrête quelque part,
S'il était toujours son maître
Il reviendrait à Favart.

Le Théâtre a honni le vaudeville, il l'a même chassé dernierement d'Annette et Lubin, pour mettre à sa place une bien platte musique, tandis que, par une inconséquence bizarre, il n'a pas dédaigné des couplets poissards & grivois. Que Favart accueille & caresse le vaudeville, qu'il apprenne à le chanter, le vaudeville ne tardera pas à revenir à Favart.

On entend frédonner & on voit paraître une espece de petit-maître très-ridiculement habillé d'une étoffe rayée, lequel, pour cette raison, s'appelle Bariolé. C'est Gavaudan qui joue ce rôle ; cette espece de caricature est de son département ; c'est lui qui dernierement a travesti d'une maniere assez bouffonne, un chanteur célebre : un directeur du vaudeville ne doit point se plaindre de n'être pas plus respecté que notre moderne Orphée ; mais les spectateurs délicats doivent être choqués de la licence grossiere de ces travestissemens, où il entre plus de méchanceté que de gaîté. Les auteurs du prologue reprochent aux auteurs du vaudeville les calembourgs ; mais eux-mêmes en abusent au point d'en mettre jusques dans le costume de leurs acteurs ; l'habit de Bariolé est un calembourg.

Le premier couplet de ce grotesque personnage, tout entier sur des rimes en ir, est une critique assez juste de la manie de plusieurs auteurs du vaudeville, qui s'amusent à ces niaiseries, & sacrifient le goût & la langue au vain mérite de la difficulté des rimes ; ce qui fait dire assez plaisamment à Favart, qu'ils mettent en vaudeville le dictionnaire de Richelet.

On demande à Bariolé des nouvelles de là-haut, & sa réponse annonce en même tems le ton & le style actuel du vaudeville.

La justice & l'innocence.
Chez nous sont à l'indicatif ;
Le bonheur & l'abondance,
Par-tout sont à l'infinitif ;
Déja le passé s'oublie,
Et le présent est parfait ;
Le futur, je le parie,
Deviendra plus que parfait.

Ce couplet a eu la même aventure que le sonnet d'Oronte dans le Misantrope ; le parterre l'a fort applaudi, sans doute pour le fonds plus que pour la forme ; Favart l'a blâmé comme amphigourique ; Bariolé a prétendu que sur son théâtre il eût été bissé, c'est-à-dire qu'il eût reçu les honneurs du bis ; Favart s'est plaint de cet outrage fait à la langue Français :

Chez l'étranger, de préférence,
Chacun la parle avec succès,
Et bientôt dans la seule France,
On ne parlera plus Français.

Le Vaudeville, avec une souguenille [sic] de pélerin, un chapeau extraordinairement pointu, & un dard à la main, se présente à Favart & à Pannard, qui ne le reconnaissent pas ; il est obligé de se nommer.

Favart.

Qu'as-tu fait de ta folie ?

Le Vaudeville.

La satyre est mon seul dieu.

Pannard.

De ta marotte jolie ?

Le Vaudeville, montrant son dard.

Cette pointe m'en tient lieu.

Favart.

Faible enfant, que veux-tu faire
Avec cette arme & ces traits?

Le Vaudeville.

Je veux déclarer la guerre
A ceux qui chantent la paix.

Le Vaudeville fait ensuite sa confession en ces termes :

Mon pere, je viens devant vous,
Avec une âme repentante,
Me confesser à deux genoux,
De ma conduite peu décente,
          Le calembourg,
          Le calembourg,
Me séduisit & m'égara.
Dirai-je mon meâ culpâ ?

     Pannard et Favart.

Dites votre mea culpâ

Caron poursuit Bariolé comme ayant payé son passage en mauvaises pieces, & remet à Pannard un recueil de pieces telles que le Beaunois à Paris, Arlequin de Retour, Arlequin Libraire, etc., &c. Le Vaudeville se plaint de la tyrannie qu'on exerçait sur lui dans la rue de Chartres, où on le forçait de remplir sans cesse sa mémoire d'un tas de calembourgs & de sottises ; il gémit sur-tout des insultes dont il s'est rendu coupable envers le Théâtre-Français. Il y a de la fadeur & même de la mauvaise foi dans ses plaintes, car la parodie fut toujours de l'essence du vaudeville ; Favart, l'innocent Favart lui-même, a fait des parodies malignes ; & il y a plus de méchanceté dans cette Confession du Vaudeville au Théâtre Favart, que dans la Tragédie au Vaudeville de la rue de Chartres.

A certaine attaque indiscrette
Qu'on poussa peut-être à l'excès,
Les auteurs de cette bluette
Ont répondu par des couplets ;
Mais sur leur nom je dois me taire,
Il leur manque encore un succès :
Vous savez comme ils font la guerre,
Mais sauront-ils faire la paix ?

L'événement a prouvé qu'ils savaient beaucoup mieux faire des prologues que des allégories. Le Vaudeville a rendu un grand service au Théâtre Français en lui sauvant un ridicule & une avanie ; ce n'était peut-être pas son intention. C'est l'histoire de cet homme qui, voulant tuer son ennemi, ne fit que lui percer un abcès qu'il avait sur la poitrine, & lui sauva la vie. Favart a généreusement endossé la folie du Théâtre de la République. Rien n'est plus plat & plus glacial que ces allégories où l'on avilit les objets les plus importans par de misérables caricatures, qui ne sont ni ingéni euses ni plaisantes. L'Angleterre est un procureur nommé M. Trident ; le premier consul est M. Franc, maire de village; l'empereur est M. de l'Aigle, qui, par le conseil de M. Trident, plaide contre M. Franc pour quelques arpens de terre. Toutes ces pauvretés dégoûtantes déshonorent la nation ; le Français a d'autres ressources contre ses ennemis que ces fades bouffonneries ; il faut laisser cette petite consolation aux Anglais. J'observe avec plaisir la générosité & la noblesse du caractere national dans le mépris que le public témoigne pour ces farces grossieres, dont l'objet est de baffouer nos ennemis ; que les auteurs se reposent sur nos guerriers du soin d'humilier l'Angleterre. Je ne conçois pas le mauvais goût de nos comédiens, qui semblent se disputer ces tristes rapsodies: Désirée ne méritait pas le fracas qu'elle a fait ; elle est encore plus insipide que mademoiselle Gique.

Voici le couplet qui m'a paru le plus saillant. Un pêcheur nommé Brochet, posté sur un télégraphe, se plaint du brouillard:

Le froid devient plus rigoureux,
Couvrons-nous bien, de peur du rhume ;
J'ouvre vainement de grands yeux,
Je suis aveuglé par la brume;
Mon poste, avec plus de raison,
Conviendrait à notre bon maire,
Qui sait éclairer l'horizon
Dans le mois de brumaire.

Le même pêcheur télégraphe dit qu'il n'a point de repos depuis que M. Franc est maire du village.

Je me soumets aveuglément
A sa politique profonde;
Car il me met en mouvement
Pour le repos de tout le monde.

Voilà tout ce qui vaut la peine d'être recueilli dans cette ennuyeuse allégorie, à qui le parterre, malgré son amour pour la paix, ne s'est pas fait un scrupule de déclarer la guerre. Je conseille à tous les théâtres de ne plus parler au public en paraboles. (Voyez ci-après la revanche du théâtre du Vaudeville.)

 

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