Créer un site internet

Le Passage du Léthé, ou Petite Récapitulation des Grands Ouvrages publiés depuis dix ans

Le Passage du Léthé, ou Petite récapitulation des Grands Ouvrages publiés depuis dix ans, vaudeville en un acte, de Lafortelle et Dumolard, 24 août 1810.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Passage du Léthé (le), ou Petite récapitulation des Grands Ouvrages publiés depuis dix ans

Genre

tableau allégorique, vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

prose, avec couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

24 août 1810

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Lafortelle et Dumolard

La pièce est écrite à l’occasion des concours organisés tous les dix ans dans toutes les formes d’art et de science. Les auteurs font le bilan des dix dernières années pour le théâtre.

Journal de Paris, n° 237 (samedi 25 août 1810), p. 1659 :

[La pièce promettait gaieté et esprit, mais l’attente du public a été déçue, si bien que la fin a été sifflée, et que les auteurs n’ont pas été demandés. Construite sur une allégorie (le transport aux Enfers des livres récents), elle fait la revue des ouvrages notables des quelques années précédentes, essentiellement des pièces de théâtre. La liste de ce qui vaut d’échapper à l’oubli est jugée assez conforme au goût du public, mais il aurait fallu que la pièce soit gaie, ce qui n’est pas le cas.]

Théâtre du Vaudeville.

Le Passage du Léthé, tableau allégorique, n’a pas obtenu de succès. Le couplet d'annonce promettoit de la gaieté & de l’esprit ; on avoit beaucoup ri surtout des quatre derniers vers :

Si notre pièce a su vous plaire,
Peu nous importe en pareil cas,
Que le jury n'en parle guere,
Que le jury n’en parle pas.

Mais la bonne humeur du public a été forcée de s’arrêter là ; la fable de la pièce a paru excessivement froide ; quelques sifflets se sont fait entendre au dénouement, & le nom des auteurs n’a pas été demandé.

Voici un aperçu de cette allégorie. La scène se passe aux enfers, sur, les bords du fleuve Léthé. Proserpine voulant amuser Pluton, a envoyé sur terre le diable Asmodée, avec mission d’en rapporter les divers chefs-d'œuvres qui ont paru depuis quelques années ; le Diable a chargé de ce soin le petit Vaudeville, qui a soigneusement emballé tous les ouvrages mentionnés par le jury, mais qui en passant le fleuve d’oubli, y laisse malheureusement tomber toute sa cargaison. Aristarque , Anacréon, Proserpine désolés de ce contre-temps, ordonnent de repêcher ceux des ouvrages qui ne sont pas tout à fait tombés à fond. De ce nombre sont la Navigation, poëme, qui flotte sur l’eau, l’Imagination, qui surnage, les Templiers, Artaxerce, Henri IV, Montmorency, Omasis, Pyrrhus, et Trajan, &c. & le Déluge qui va se noyer. Caron, armé d’un large filet, procède à l’opération & retire du fleuve la plupart de ces chefs-d'œuvres. Un diable, ou plutôt une furie, survient alors armée d’une torche, & veut incendier tout ce qui est échappé du naufrage ; le feu prend aux livres, mais tout ne brûle pas, & l’on voit sur un transparent le nom des beaux ouvrages, ou plutôt des beaux fragmens d’ouvrages que rien ne peut endommager. Nous croyons ne pas nous tromper, en disant que nous y avons lu ces mots :

                        Le Déluge,
                        La Vestale,
                    L’Imagination,
Le rôle du grand-maître des Templiers,
    Trois actes du Tyran domestique,
        Le dénouement d’Artaxerce,
            L’Histoire du 18.e siècle,
    La partition des Deux Journées.

Cette espèce de jugement en dernier ressort nous paroît assez conforme à l’opinion publique ; mais au théâtre du Vaudeville, il falloit le prononcer gaiement, & c’est malheureusement ce que les juges réviseurs paroissent avoir oublié. On ne trouve pas le plus petit mot pour rire dans tout le cours de la procédure.

Mercure de France, journal littéraire et politique, tome quarante-quatrième, n° CCCCLXXVI (samedi 1er septembre 1810), p. 46-47 :

[La remise des prix décennaux fournit l’occasion au théâtre du Vaudeville à dire ce qu’il pense de la production littéraire de la décennie écoulée. Les auteurs utilisent le secours d’une allégorie : on brûle aux Enfers les livres tombés à l’eau et qu’on a pu repêcher. Tous ne brûlent pas, et on voit apparaître une liste des ouvrages sauvés de l’eau et du feu, promis à l’immortalité. Le public a sifflé au dénouement, le jugement porté manquant fortement de la gaieté qui eût rendu le verdict acceptable. Le critique se refuse d’ailleurs à communiquer la liste des heureux élus. Les auteurs n’ont pas été demandés, mais leur nom était sur l’affiche du lendemain.]

Théâtre du Vaudeville .-— Le passage du Léthé, ou petite récapitulation des grands ouvrages publiés depuis dix ans.

Le petit Vaudeville qui s'est plaint quelquefois de la malignité des journaux, et qui souvent est plus malin encore, a voulu se mêler comme eux de la grande querelle des prix décennaux. Le sujet prêtait beaucoup, mais il a été traité avec peu d'adresse. Les auteurs de la pièce, dont on vient de lire le titre, supposent que pour désennuyer Pluton et sa cour, Proserpine a imaginé d'envoyer chercher en France les meilleurs ouvrages publiés depuis dix ans. Elle charge de la commission le Diable boiteux, qui la remet à son tour au dieu du Vaudeville. L'enfant malin, pour s'épargner la peine de choisir, prend tous les ouvrages qui lui sont donnés pour des chefs-d'œuvre par leurs auteurs, et sa charge devient par-là si pesante qu'elle fait pencher la barque du vieux Caron et tombe dans le fleuve d'Oubli. Un seul moyen se présente de réparer un pareil malheur, c'est de repêcher en détail toutes les pièces naufragées. On y procède en présence de la déesse et de sa cour, et cette opération donne lieu à différens jeux de mois, tantôt louangeurs, tantôt épigrammatiques. La pêche ne laisse pas d'être abondante, mais à peine en a-t-on déposé les produits sur un brancard de lauriers, pour les porter au roi-des Enfers, que l'Envie paraît armée de deux flambeaux comme une furie, et met 1e feu à la pile malencontreuse. Tout cependant n'est pas consumé ; en quelques instans les flammes s'éteignent, et l'on voit sortir du fatal bûcher un beau transparent chargé des noms des ouvrages qui, au jugement des chansonniers à qui nous devons cette pièce, doivent aller à l'immortalité.

Ce dénouement a déchaîné tous les sifflets que la curiosité avait contenus. En effet, nos lecteurs reconnaîtront sans peine qu'après toutes les railleries, toutes les réclamations, tous les brocards qui ont assailli le rapport du jury de l'Institut sur cette matière, il était bien mal-adroit au Vaudeville de vouloir aussi prononcer son jugement. Son tort est d'autant plus grave qu'il nous eût égayé bien davantage, si, au lieu de se constituer juge, il avait su prendre à partie, et les juges et les plaideurs ; mais que pouvait-il espérer en se montrant bien plus exclusif que les premiers, et plus sévère même que les seconds, qui, tout en se préférant à leurs rivaux, n'ont pas prétendu livrer leurs écrits à l'oubli et aux flammes ? Nous ne citerons point, au reste, le jugement de nos chansonniers et nous n'insisterons pas davantage sur les causes de leur déconvenue. Nous regretterons seulement qu'ils n'ayent pas tiré un meilleur parti de leur pêche ; l'idée en est heureuse ; elle appartient à Lucien et il était facile en l'imitant d'en tirer des effets très-comiques.

Les auteurs n'ont point été demandés, mais l'affiche nous a appris leurs noms le lendemain. Ce sont MM. Lafortelle et Dumolard.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome 4, p. 398 :

[La moquerie envers les œuvres récentes n’était pas assez piquante, et le succès n’a pas été au rendez-vous.]

Passage du Léthé (le), ou Petite Récapitulation des Grands Ouvrages publiés depuis dix ans, vaudeville en un acte, joué le 24 août.

La Vaudeville, à qui l’on reproche d’être quelquefois trop méchant, s’est montré cette fois trop honnête. L’allégorie est toujours froide au théâtre : aussi la pièce nouvelle n’a-t-elle pas réussi. Proserpine, Asmodée, Anacréon, Aristarque, le Vaudeville, tels sont les personnages qui y figurent. Ils chantent force couplets sur les ouvrages qui ont paru depuis dix ans. On en a trouvé peu de piquants. Les auteurs n’ont pas été demandés.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome XI (novembre 1810), p. 272-278 :

[Deuxième pièce satirique au Vaudeville : après une pièce trop méchante, une pièce qui ne l’est pas assez. La forme choisie est celle de l’allégorie : on fait venir aux Enfers les livres récents, mais ils tombent à l’eau, et seuls certains sont repêchés, mais c’est pour subir l’épreuve du feu, à laquelle seuls quelques-uns survivent, dont le critique nous donne une liste mêlant poème et pièces de théâtre. le public a montré son irritation : il attendait des couplets piquants, et il a été plutôt déçu. Les auteurs ont été peu drôles, et ont été plus injustes que les membres du jury des prix décennaux, qui ne condamnaient pas ceux qu’ils ne couronnaient pas, et qui comparaient ce qui pouvait l’être, quand la pièce mêle tous les genres dans des verdicts bien difficiles à justifier.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le Passage du Léthé, ou Petite récapitulation des grands ouvrages publiés en dix ans, tableau allégorique en un acte.

Le bon temps de la méchanceté serait-il passé au Vaudeville ? L'Auberge dans les nues n'y obtint, il y a trois mois, qu'un demi succès ; on en trouva les plaisanteries trop amères et point assez gaies ; les éloges qui s'y trouvaient mêlés furent jugés suspects d'ironie à force d'exagération. Dans le Passage du Léthé, les critiques, au contraire, sont trop fades et trop vagues ; les éloges sont sincères, mais ils sont trop exclusifs, et l'effet général a été encore moins heureux que celui du Chemin de la gloire.

Les auteurs, qui n'ont point été demandés, supposent que le bon roi Pluton s'ennuyant aux enfers, selon sa coutume, Proserpine a formé le projet de lui donner une fête pour le divertir. Elle a consulté Anacréon, et, d'après son avis, elle a envoyé sur. la terre le Diable boiteux, avec ordre d'y chercher le pays où les arts sont encouragés avec le plus de magnificence, et d'en rapporter tous les chef-d'œuvres publiés depuis dix ans. La lecture de ces chef-d'œuvres fera le divertissement du jour. On sent bien qu'Asmodée ne pouvait remplir sa mission qu'en France, et c'est en effet ce que décide Aristarque lui-même, à qui Anacréon raconte ce que nous venons d'exposer. Bientôt le Diable boiteux arrive de son voyage. Ne connaissant pas très-bien le pays, il s'est trouvé fort heureux d'y rencontrer le petit Vaudeville qu'il a chargé de sa commission, et qui ne tarde point à paraître, mais sans armes et sans bagage que son tambourin et son galoubet : ce n'est pourtant pas sa faute. De peur de se tromper, le petit dieu, oubliant sa malignité naturelle, et devenu aussi indulgent qu'un bibliothécaire, s'était chargé de tout ce qu'on lui avait offert. Mais cette facilité à grossir son bagage est précisément ce qui le fait arriver les mains vides. La barque de Caron n'a pu supporter cet énorme poids, et la cargaison toute entière est tombée dans le fleuve d'oubli. Asmodée est consterné de cette nouvelle, et c'est en vain que le Vaudeville veut le consoler. Il est bientôt réduit à trembler pour lui-même ; car Proserpine le menace de la colère de Pluton, s'il ne trouve un moyen de réparer le mal qu'il a fait. La chose paraît d'abord embarrassante; mais un dieu doit être au moins aussi inventif qu'un valet de comédie, et celui du Vaudeville doit, moins qu'un autre, rester court. En effet, il invoque Eole ; une tempête agite les eaux du Léthé, et l'on ne tarde point à appercevoir différens écrits qui surnagent. On charge Caron de les repêcher. Le vieux nocher lance ses filets à diverses reprises et retire successivement plusieurs ouvrages que l'on place sur un brancard, fait avec des branches de laurier, pour les porter au dieu des rives infernales. Mais à peine y sont-ils placés, qu'un nouveau péril les menace. La plus cruelle des furies, la noire Envie, cent fois plus terrible que Tisiphone et Alecto, paraît sur la scène avec ses flambeaux, et met le feu à la pile sacrée qui avait résisté à l'épreuve de l'eau. Celle du feu, quoique plus redoutable, ne peut cependant l'anéantir en entier : du milieu des flammes s'élève un transparent, où on lit le titre des ouvrages ou parties d'ouvrages à qui les auteurs de cette pièce promettent l'immortalité. Ce sont, si notre mémoire est fidèle : le tableau du Déluge, la Vestale, le rôle du grand-maître des Templiers, trois actes du Tyran domestique, l'Histoire du dix-huitième siècle, la partition des Deux Journées, le dénouement d'Artaxerce et le poème de l'Imagination.

Jusqu'à ce moment, le public avait écouté la pièce avec indulgence et même avec une sorte de complaisance. Il n'avait paru choqué ni de voir un diable juif ou chrétien au milieu des divinités payennes, ni de ce bouleversement de la topographie infernale, qui met le Léthé à la place du Styx. Le titre de la pièce avait excité trop puissamment sa curiosité pour qu'il s'arrêtât à ces bagatelles. Il devait croire que le Vaudeville, en se mêlant de la querelle des prix décennaux, s'égayerait aux dépens de tous les partis, et serait assez sage pour n'en adopter aucun. Les premiers mots du petit Dieu semblaient confirmer cette opinion, puisqu'il apportait tous les ouvrages mis au concours, sans prétendre juger ,de leur mérite. La pièce, il est vrai, traînait un peu ; les couplets n'étaient pas aussi piquans qu'on aurait eu droit de l'attendre ; mais la pêche des livres avait ranimé l'attention. Par malheur, cette scène est encore assez froide ; les intentions des auteurs n'y sont point assez marquées ; ils se contredisent même quelquefois. Caron observe d'abord que les ouvrages les plus légers sont les premiers qui surnagent : ces ouvrages sont les traductions, et la légèreté qu'on leur suppose se rapporte sans doute à leur mérite ; mais on ajoute que l'esprit des originaux les soutient, et la légèreté est prise ici en sens contraire. Le vieux nautonnier fait ensuite des jeux de mots sur le titre de quelques ouvrages : c'est le Paradis perdu qui se retrouve et la Navigation qui flotte sur l'eau ; puis c'est une longue nomenclature où le bon se trouve mêlé avec le médiocre, avec le mauvais, et qui cependant n'a même pas le mérite facile de réparer tous les oublis qu'on a reprochés au jury. Les esprits étant donc assez mal disposés par les détails de cette pêche, lorsque l'épreuve du feu a été tentée et que le transparent s'est montré, on ne s'étonnera pas que le dénouement ait été accueilli par des sifflets de toutes les parties de la salle. Ce n'est pas que nous prétendions contester le mérite des ouvrages inscrits dans le transparent ; plusieurs sont dignes des plus grands éloges. Mais supposons, pour un moment, que ce jugement du Vaudeville eût été celui du jury, et figurons-nous, s'il est possible, d'après ce qui est arrivé à celui qu'il a rendu, toutes les critiques, toutes les railleries, toutes les réclamations que celui-ci aurait essuyées ! En effet, les auteurs du rapport en donnant le prix à tel ou tel ouvrage, n'ont pas voué les autres à l'oubli ; en couronnant les Templiers, ils n'ont point condamné ni Omasis, ni la Mort d'Henri IV ; après la Vestale, ils ont nommé Trajan et Sémiramis ; après Joseph, les Deux Journées et l'Auberge de Bagnères, etc., etc. Disons mieux : ils n'ont comparé entr'eux que des ouvrages du même genre, au lieu que les auteurs de la pièce nouvelle, en rassemblant tous les genres dans leur transparent exclusif, les ont rapportés tous à la même mesure. Ainsi l'on peut inférer de leur jugement que le dénouement d'Artaxerce est un plus beau titre de gloire que l'Histoire de Fénélon, par M. de Bausset ; la partition des Deux Journées, que la Traduction du Paradis perdu, et autres conclusions aussi méritoires.

Mais c'est trop insister, sans doute, sur un arrêt dont nos lecteurs apprécieront bien, sans nous, la justice, et que les auteurs n'ont pu prononcer de cette manière que faute de réflexion. Que dis-je ? avec un peu de réflexion, ils se seraient bien gardés de prononcer en aucune manière. Ils auraient senti que, lorsqu'on veut s'égayer aux dépens des juges, il ne faut pas usurper leurs fonctions ; que juger séparément les ouvrages et les auteurs est déjà une tâche assez délicate ; mais que les juger comparativement, en est une qu'on fait très-bien de n'entreprendre que lorsqu'on y est obligé.                               G.

Ajouter un commentaire

Anti-spam