Tout pour l'enseigne, ou la Manie du jour, vaudeville en un acte, de Lafortelle, Merle, Brazier et M. [Moreau.], 26 août 1813.
Théâtre des Variétés,
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1813 :
Tout pour l'enseigne, ou la Manie du jour, vaudeville en un acte, de Lafortelle, Merle, Brazier et M. ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés le 26 août 1813.
Journal de Paris, n° 239 du 27 août 1813, p. 2-3 :
[La pièce est une satire de la manie des belles enseignes qui envahissent les rues de Paris. L’auteur a su écrire une comédie drôle, sinon de bon goût. L’intrigue est centrée sur la question du mariage qu’un marchand de toiles breton voudrait faire avec la fille d’un marchand parisien fou de belles enseignes. Dans ce but il a fait faire une enseigne qu’il voudrait magnifique, mais qui ne lui attire que des sarcasmes. Il se ruine même pour acquérir une belle enseigne sur le Jugement de Midas, mais il est refusé comme gendre par un beau-père changeant qui lui préfère un jeune peintre capable de faire de belles enseignes pour ses boutiques. A un dialogue extravagant, la pièce ajoute des couplets « souvent piquans et bien tournés », si bien que les personnages sont plus éloquents quand ils chantent que quand ils parlent. Le critique cite un de ces couplets, une incroyable accumulation d’enseignes reprenant des titres de pièces de théâtre. La pièce est bien jouée par le duo Pothier-Brunet, les vedettes du Théâtre des Variétés. L’auteur est cité comme s’il était unique, et assez perfidement le critique fournit un nouveau sujet de satire à l’auteur, écrire une pièce ridiculisant les affiches de théâtre annonçant quatre noms d’auteur pour une bluette. Lafortelle a dû reconnaître sa pièce, et les trois coauteurs qu’on lui prête.]
THEATRE DES VARIÉTÉS.
Première représentation de Tout pour l'Enseigne, ou la Manie du jour.
Dans tous les temps les sages se sont plaint que les fous sacrifiaient tout à l'enseigne, et les sages n'ont pas toujours eu raison, car c'est souvent, la vilaine enseigne, que prend la sagesse, qui éloigne d'elle les chalans. Voulez vous m'attirer dans l'intérieur ? rendez les dehors aimables : c'est une morale que connaissent parfaitement les marchands même les plus étrangers à la morale, et qu'ils mettent en action au grand plaisir des badauds, pour qui toutes les rues de Paris deviennent une galerie de tableaux, et au grand bénéfice de plusieurs artistes qui préfèrent le produit actuel d'une enseigne aux honneurs incertains du Muséum. Je respecte trop tous les noms inscrits au livret d'exposition, pour oser dire qu'on devoit quelques bons tableaux au dessus des boutiques, que depuis qu'on laisse figurer tant d'enseignes au salon. Il y a compensation.
L'auteur de la pièce nouvelle a dû voir celle manie des belles enseignes du côté ridicule. Il a lancé contre elles beaucoup de traits, dont il a emprunté un plus grand nombre à la folie qu'au bon goût. On a bien ri, bien applaudi; mais on ne décrochera pas les enseignes. Les parisiens sont gais, mais un peu entêtés, et l'on n'abandonnera pas la Toison de cachemire pour la Truie qui file.
M. Babolin , marchand de toiles de Bretagne établi à Landivisiau, vient à Paris pour épouser la fille de Duremont, marchand de Paris. Le beau-père est fou des belles enseignes depuis qu'il doit sa fortune à la sienne, dont une main inconnue a décoré sa boutique : elle représente Ma Tante Aurore. Babolin, pour répondre à son desir, commande à un barbouilleur un Bras d'or, qu'il paie cent sous. Chacun crie à l'horreur, comme si pour cent sous on pouvait avoir un bras d'or massif. Babolin veut à tout prix posséder une superbe enseigne. Il vide son magasin pour acheter un Jugement de Midas ; il en admire chaque détail, mais surtout il est pris par les oreilles. M. Duremont , qui ne sait pas trop ce qu'il veut, refuse, alors un gendre, qui n'a fait un sot marché que pour lui obéir. Sa fille épouse Sainville, jeune peintre qui, par amour, a consenti à faire figurer sur des boutiques sa Tante Aurore et son Jugement de Midas.
Si le dialogue de cette pièce est toujours extravagant, les couplets en sont souvent piquans et bien tournés ; les personnages ont bien plus de véritable esprit quand ils chantent que quand ils parlent. Plusieurs couplets ont été redemandés. J'en vais citer un, non parce que je le crois le meilleur, mais parce qu'il réunit dans le même cadre les plus fameuses enseignes de Paris, et que l'acteur a eu le talent et la force de le chanter deux fois tout d'une haleine:
Air : Vive une femme de tête ( du Major Palmer).
Aux enseignes on fait queue,
Hier encor on s'y poussait :
J'ai vu, de la Barbe bleue,
Venir au Petit Poucet ;
En face du Gastronome
Gargantua m'est offert,
Et le Ci-devant Jeune Homme,
Vis-à-vis le Singe Vert,
De la Toison d'or qui brille,
Nous passons au Cœur volant,
Et du Père de famille,
A l'enseigne du Croissant ;
Près du Rocher de Cancale,
Les Trois Lurons sont parlans ;
En regard de la Vestale,
Je vois les Trois Innocens.
Auprès du Diable Asmodée,
Les Artistes réunis,
Puis la Fille mal gardée,
Le Rendez-vous des Amis ;
Cendrillon, la Providence,
Les Jobards, Jean de Paris,
Et la Corne d'Abondance,
Et la Femme à deux Maris.
J'apperçois la Balayeuse
Qui sourit au Fandango,
Et puis Fanchon la Vielleuse,
Regardant Madame Angot.
La charmante Roxelane,
La Marchande de gâteaux,
Enfin la chaste Suzanne
A côté des deux Magots.
Pothier dans le rôle de M. Crouton, peintre d'enseigne, a été d'une originalité qui aurait pu seule faire réussir la pièce. Brunet-Babolia lui a disputé les honneurs de la caricature.
L'auteur est M. Lafortelle. Puisqu'il paraît disposé à saisir et à peindre les ridicules qui frappent les yeux au coin des rues, je veux lui en indiquer un. Qu'il s'égaie aux dépens de ces affiches de théâtre, où l'on voit les noms de quatre auteurs pressés au-dessous d'une bluette.
A. Martainville.
Le Mémorial dramatique: ou Almanach théâtral pour l'an 1814, p. 170-172, reprend très largement l’article de Martainville.
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