Une folie
Une folie, opéra en deux actes, de Bouilly, musique de Méhul. 15 germinal an 10 [5 avril 1802].
Théâtre de l'Opéra Comique National, rue Feydeau
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Titre :
Une folie
Genre :
opéra
Nombre d'actes :
2
Vers / prose
prose, parties chantées en vers
Musique :
oui
Date de création :
15 germinal an 10 (5 avril 1802)
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra Comique national, rue Feydeau
Auteur(s) des paroles :
Bouilly
Compositeur(s) :
Méhul
Almanach des Muses 1803
Cerberti, peintre d'histoire, est le tuteur d'Armandine, jeune personne qui lui sert de modèle pour ses tableaux, et qu'il veut épouser. Florival, capitaine de hussards, loge dans le voisinage d'Armandine : il ne l'a jamais vue ; mais il l'a entendue chanter, et il en est devenu amoureux. Occupé des moyens de pénétrer chez elle, il apprend que Wermenser, peintre allemand, doit venir voir Cerberti ; il se déguise, se présente chez le tuteur, qui l'interroge, le trouve en défaut dans ses réponses, et l'éconduit. Le hasard veut que Francis, factotum du peintre attend ce jour-là même de Picardie un filleul, qu'il n'a jamais vu. Jacquinet, ce filleul, arrive au moment où Florival et Carlin, son valet, déplorent ensemble le peu de succès de leur première tentative. Le filleul est un niais, qui prend Florival pour M. Cerberti, et Carlin pour son parrain, et leur remet la lettre dont il est chargé. Pendant qu'il est sorti pour aller chercher le reste de ses effets, Carlin se revêt d'habits qu'il trouve dans un sac de nuit ; et, muni des lettres qu'il a dans les mains, se présente à Francis, l'embrasse, et remet à Cerberti, avec une lettre du curé de Jacquinet vingt louis, qui lui sont dus pour un tableau. En vain le filleul paraît-il quelques instants après, le parrain le repousse, et Cerberti le menace. Carlin s'est introduit chez Armandine, et voudrait bien y introduire son maître. Il lui jette une échelle, à l'aide de laquelle Florival monte et arrive chez Cerberti, au moment où Francis vient d'amener au peintre un soldat, qui doit lui servir de modèle dans un tableau représentant Bayard aux pieds de madame de Randan. Le soldat reconnaît son capitaine, lui cède la place, et saute par la fenêtre qui a favorisé l'entrée de Florival. Francis, en retrant, ne s'apperçoit point que le soldaut n'est plus l'homme qu'il avait amené. Armandine, avertie par Carlin, consent de bonne grace à servir aussi de modèle. Le vieux peintre pose les amans dans l'attitude convenable à son tableau : ils profitent du moment pour se faire une déclaration mutuelle. Florival, sûr de l'aveu d'Armandine, se découvre, et obtient la main de sa maîtresse.
Quelques situations un peu usées, d'autres absolument neuves ; des ressemblances avec des pièces connues, mais des détails agréables et des scènes piquantes. Très-jolie musique.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet et chez Charon, an XI (1803) :
Une folie, comédie en deux actes, mêlée de chants; Paroles de J. N. Bouilly, Membre de la Société Philotechnique ; Musique de Méul ; Représentée pour la première fois, sur le Théâtre de l’Opéra-Comique national, le 15 Germinal an 10. Seconde édition.
« Dulce est desipere in loco.
Hor. Ode 13, Liv. 4.
« Il est doux d’avoir un instant de folie ».
Courrier des spectacles, n° 1858 du 17 germinal an 10 [7 avril 1802], p. 2-3 :
[Une fois de plus, un amant tente de s’introduire dans la maison du tuteur de celle qu’il aime sans l’avoir jamais vue que sur les tableaux que peint son tuteur. Pour une fois, il n’arrive pas à forcer la porte, mais son valet y parvient sous l’identité du fiancé officiel de la demoiselle. En bon valet, il fait entrer son maître qui se trouve en présence de celle qu’il aime. Et s’il lui prend les mains, c’est à la demande du tuteur qui veut leur faire prendre la pose. Il peut alors s’imposer comme futur mari auprès du tuteur, moyen de dénouement que le critique (et peut être le public) a jugé « insuffisant » : « un tuteur à caractère » ne se laisserait pas impressionner aussi facilement. Il signale encore d’autres facilités dans l’intrigue, comme des défauts dans le dialogue, faciles à éliminer. les acteurs ont bien joué, mais ce point devrait faire l’objet d’un second article (que je n’ai pas trouvé).]
Théâtre de l’Opéra-Comique, rue Feydeau.
La pièce intitulée Une Folie, présente le sujet suivant :
Cerberti, peintre d’histoire, est tuteur et amoureux d’Armantine, jeune personne d’une grande beauté, dont il place les traits dans presque tous ses tableaux.
Florival, neveu dü général d’Armincourt, qui autrefois a sauvé la vie au père d’Armantine, a remarqué dans les tableaux que Cerberti expose au salon, la même physionomie employée dans tous les sujets, il s’enflamme pour le modèle qu’il n’a jamais vu, et qu’il soupçonne être quelque beauté retenue captive chez le Peintre ; une romance que chante Armantine, au moment où il passe sous ses fenêtres, le confirme dans cette dernière idée ; bientôt on voit descendre au bout d’un ruban un billet dans lequel Armantine promet sa main à celui qui l’arracheroit au joug sous lequel elle gémit : un vieux Domestique apperçoit ce billet et le remet entre les mains de Cerberti qui le lit, mais assez haut, pour être entendu de Florival ; celui-ci, sans être apperçu, fait une réponse à la hâte sur l’un des feuillets de ses tablettes, et l’attache au ruban qu’Armentine doit retirer aussi-tôt que, pour signal, on aura frappé des mains. Le vieux Domestique, sans s’en douter, donne ce signal, en .joignant ses mains avec bruit dans une exclamation animée.
Cerberti attend de Vienne un certain Kesermann, peintre, qu’il n’a jamais vu, mais qu’il avoit chargé de vendre ses tableaux en Allemagne, et le vieux Picard attend de son côté un neveu qui doit arriver de Cbauny pour prendre chez Cerberti l’emploi de broyer les couleurs.
Florival essaie de s’introduire chez le Peintre en se faisant passer pour Kesermann; mais il témoigne tant d’empressement pour être conduit dans l’atelier de Cerberti, que ce peintre devient méfiant, et lui tend un piège en lui demandant à qui son Erigone se trouve vendue, (sujet qu’il n’avoit jamais traité) : « Je l’ai placée, dit Florival, chez l’archevêque de Cologne ». On devine que le Peintre loin d’introduire le prétendu Kesermann, s’amuse beaucoup à ses dépens.
Carlin, son valet, est plus heureux ; il fait la rencontre du neveu qu’on attend, lui donne de l’inquiétude sur quelques effets qu’il a laissés à la voiture, s’affuble de ceux que le niais a laissés pour courir au bureau de la diligence, et se présente à Cerberti et à son vieux Domestique, pour Jacquinet de Chauny. Le véritable Jacquinet est bientôt de retour, mais il est baffoué ; dans son embarras il implore mystérieusement l’appui de Florival, ce qui lui donne davantage, aux yeux du Peintre, l’air d’un imposteur que l’amant veut introduire auprès d’Armentine, et Carlin seul est admis.
On est dans l’atelier du peintre ; sur le chevalet on voit un tableau commencé qui représente Bayard à genoux devant madame Duraudant, des mains de laquelle il reçoit une écharpe.
Carlin est occupé à broyer de la couleur ; il a beaucoup de peine à mettre la jeune personne au fait du stratagème, mais à une chanson picarde, il adapte avec adresse le refrein même de la romance d’Armantine, et celle-ci commence à comprendre quelque chose, elle ne refuse plus comme auparavant de servir de modèle pour le personnage de madame Duraudant ; Cerberti lui donne la clef d’un corridor où elle doit aller prendre le costume convenable ; le vieux Valet a lui-même amené de la caserne voisine un Militaire qui doit poser pour représenter Bayard ; mais Cerberti regrette d’avoir donné à Armantine la clef du corridor, dans la crainte que celle-ci ne saisse [sic] un moment pour écrire à Florival ; il vole donc sur les pas de sa Pupille. Pendant ce tems, Carlin descend une échelle de corde au moyen de laquelle Florival est monté dans l’atelier, s’est fait reconnoître du Soldat dont il est justement le Capitaine, et s’est affublé du costume de Bayard ; Cerberti de retour avec Armantine les met tous les deux dans l’attitude qu’exige le sujet ; il les presse d’animer l’expression de leur phisionomie, place lui-même les mains d’Armantine dans celles de Florival, et c’est alors que l’amant se découvre en offrant à celle qu’il aime son sort et sa fortune. Il déclare au Tuteur qu’il va conduire Armantine chez le général d’Armincourt, prétendant que ce dernier a seul droit de disposer de la main d’Armantine, pour avoir autrefois sauvé la vie au père de cette jeune personne.
Ce motif de dénouement est si insuffisant, et la condescendance en cette occasion d’un tuteur à caractère est si invraisemblable, que le public a fait sentir son opinion par une léger mouvement de surprise ; pour le faire supporter, il faut tout le mérite du reste de l’ouvrage, encore est-il douteux que l’auteur puisse le laisser subsister tel qu’il est.
Nous ne nous appesantirons pas sur les moyens faciles qu’il s’est donnés pour filer son intrigue. Florival est amoureux d’une personne qu’il n’a pas vue ; Cerberti attend un peintre allemand qu’il n’a jamais vu ; le valet de Cerberti attend un neveu qu’il n’a jamais vu non plus : matière facile à déguisemens et à ruses.
Nous passons sous silence quelques légers défauts dans le dialogue, parce qu’il est très-aisé de les faire disparoître.
Le jeu des acteurs est si piquant, si parfait, que nous nous réservons d’en parler séparément dans un prochain numéro.
B * * *.
Je n’ai pas trouvé l’article promis dans les jours qui ont suivi.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIe année (an ix-1801), tome sixième, p. 260 :
[Critique brève, mais positive d’une pièce dont le sujet n’est certes pas neuf, mais qui est gaie, avec des scènes bien filées et des détails agréables. Le dénouement est jugé inadapté, et il semble avoir été changé après quelques représentation. Promesse d’un autre article (promesse non tenue ,)]
Une Folie.
C’est -le cas de dire que l'auteur a été plus heureux que sage. Cet opéra en deux actes a été joué le 15 germinal. Le public, impatient, n'a pas voulu permettre qu’on achevât Clémentine, ou la Belle-Mère qu’on donnoit en premier, et il a constamment applaudi tous les passages de la pièce nouvelle. Elle n’est pourtant pas exempte de défauts ; elle a beaucoup de ressemblance avec Guerre ouverte, l'Intrigue épistolaire, etc. ; mais elle est gaie, les scènes sont bien filées, les détails très-agréables ; il est fâcheux que le dénouement ne réponde pas au reste de la pièce. Il a été changé après quelques représentations. Nous reviendrons, dans le prochain numéro, sur son intrigue et les reproches qu’on lui fait, ainsi que sur la musique de Méhul, qui est charmante. L’auteur des paroles est le C. Bouilly.
L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, floréal an X [mai 1802]p. 187-189 :
[Une Folie a connu le succès, et son auteur élargit ainsi le champ des genres où il a réussi. Certes, le sujet n’est pas très original (« celui de toutes les pièces où il est convenu qu'un père ou un tuteur n'auront ni les moyens, ni l'adresse de soustraire une jeune personne aux poursuites de l'amant qui recherche sa main », et elles sont nombreuses en effet), « le cadre de l'ouvrage tombe de vétusté, nais le tableau a quelques traits heureux, des parties bien disposées, & la couleur en est généralement agréable ». Seule le titre paraît peu adapté. C’est sur la musique que le critique se penche ensuite : œuvre de Méhul, elle a l’originalité des compositions de ce musicien, que le critique énumère la multitude de ses qualités. Pourtant, il lui reproche de manquer un peu de la folie promise par le titre. Il trouve dans Une folie « plus de travail que d'inspiration, plus d'art que de facilité ». Par contre, il n’accepte pas le reproche fait par certains de « sacrifier […] au goût du jour, se livrer au style bouffon ». Reproche non fondé, qu’on pourrait faire aux plus grands, qui ont composé grands opéras et opéras bouffons.]
Une Folie , comédie.
Une Folie, ouvrage dont nous n'avons pu jusqu'à ce moment dire qu'un mot pour en annoncer le succès, continue à fixer la foule à l'Opéra Comique. Son auteur , le C. Bouilly, essaie ses forces dans presque tous les genres ; c'est en réunissant dans l'un d'eux qu'il s'enhardit à en traiter un autre.
Citer ici les nombreux ouvrages dont une Folie n'est que l'imitation, seroit répéter hors de propos une observation trop générale pour offrir de l'intérêt : il suffira de dire que le fond de l'intrigue est celui de toutes les pièces où il est convenu qu'un père ou un tuteur n'auront ni les moyens, ni l'adresse de soustraire une jeune personne aux poursuites de l'amant qui recherche sa main. On voit que le cadre de l'ouvrage tombe de vétusté, nais le tableau a quelques traits heureux, des parties bien disposées, & la couleur en est généralement agréable. On ne peut guères lui reprocher que son titre : pourquoi une Folie ? L'ouvrage n'est ni plus bouffon, ni plus gai que beaucoup d'autres : ce titre devoit rendre & a rendu en effet le public très exigeant à l'égard du poète & du musicien.
Le caractère de cette nouvelle composition de Mehul a cela de remarquable qu'il n'appartient qu'à son auteur ; un cachet original y est empreint, c'est celui d'un grand talent qui n'est dépendant d'aucune école, qui ne suit particuliérement les traces d'aucun maître ; mais qui sait joindre à des combinaisons très savantes, des idées musicales, neuves & piquantes, monter sa lyre sur tous les tons, & s'amuser à dessiner des grotesques après avoir donné à quelques productions le caractère du beau idéal. La musique d'une Folie est très forte d'harmonie, riche de détails, exempte de bruit : la partie de l'orchestre est traitée d'une manière brillante. Cependant, peut-on ajouter qu'on éprouve en l'écoutant ce charme inexprimable qui, enchaîne toutes les facultés & s'empare de tous les sens, lorsqu'on entend une de ces mélodieuses productions italiennes, dont nous sommes depuis quelque temps rentrés en possession ? Y a t il dans cette composition assez de gaîté & de folie pour que le titre soit rempli ? Les deux auteurs ne sont-ils pas, à cet égard également dignes de reproche, ou le musicien doit-il le faire retomber tout entier sur le poëte ? Ne reconnoît-on pas dans les morceaux les meilleurs d'une Folie, plus de travail que d'inspiration, plus d'art que de facilité ? n'y remarque-t-on pas plutôt un faire harmonieux & méthodiste, qu'un style naturel, élégant & mélodieux ?
Quelques personnes se plaignent de voir Méhul sacrifier ainsi au goût du jour, se livrer au style bouffon, lorsque la grande scène lyrique réclame de l'auteur de Stratonice des productions d'un plus noble genre : mille raisons pourroient être opposées à ce reproche ; le charme d'un premier succès, & la certitude de plaire encore sans cependant se montrer supérieur à soi même, sont les premières qui viennent à l'esprit pour justifier Méhul. D'ailleurs l'exemple des plus grands maîtres est en sa faveur : n'ont-ils pas traité tous les genres ? Piccini n'a-t-il pas écrit Didon & la buona Figliola, Sachini Œdipe & la Colonie, Cimarosa les Horaces & l’Impressario, Chérubini Médée & l'Hôtellerie portugaise ?
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome cinquième (Paris, 1825), p. 334-339 :
[Fort long article d’un Geoffroy de mauvais humeur. Il commence par protester contre la mode nouvelle des titres « impertinens ». La pièce nouvelle est une folie. Il demande « un peu de pudeur et de respect pour le public. Autre cause de mauvaise humeur, le sujet : encore une pupille victime d’un tuteur, situation qu’on ne trouve plus qu’au théâtre. Pourquoi auteurs et acteurs vivent-ils ainsi dans le pays des chimères ? Après ces deux coups de colère, le critique peut nous livrer le résumé de l’intrigue, et les critiques pleuvent. Le héros est un officier comme Elleviou aime les jouer. Mais un officier ne peut s’abaisser à un tel niveau de bassesse et entrer déguisé dans la maison de sa maîtresse. Il l’aime sans la connaître (il a juste vu des tableaux qui la représentent), et elle cherche de son côté à être délivrée. L’officier s’introduit chez le tuteur, qui est peintre, déguisé en marchand de tableau allemand, mais il est démasqué. Son valet, lui, se déguise en paysan venu broyer les couleurs. Martin, l’illustre ténor, ose s’abaisser à chanter un vieux rondeau avec l’accent picard. Que d’accents dans cette pièce ! On y baragouine en allemand et en picard, mais les acteurs n’ont pas besoin de ça pour être impossibles à comprendre (pas gentil, le critique). Pour rajeunir son sujet, peut-être, l’auteur a fait de la pupille un personnage acariâtre. Le valet réussit à introduire son maître chez le peintre sous prétexte de le faire poser. L’amant est dans la place, et l’auteur amène maladroitement un dénouement que le critique juge très sévèrement. Il a gâché une situation que d’autres pièces utilisent si habilement. La pièce est donc indigne de l’opéra-comique, et la musique de Méhul ne peut rattraper la situation (le miracle de l’Irato ne s’est pas reproduit). Si Geoffroy apprécie quelques morceaux, il condamne le reste :trop « de roulades, de gargouillades, de toute la mauvaise pretintaille du mauvais chant qu'on appelle italien, mais qui n’en est que la caricature (petite leçon sur ce qu’est vraiment le chant italien). L’article s’achève enfin sur un appel pressent à l’Opéra-Comique, sommé de revenir aux bonnes pièces en trois actes, « d'un bon genre de comique et d'une conduite sage », à l’image de la dernière production de feu Della Maria, en préparation.
UNE FOLIE.
Il y a quelques jours que je comptais les folies de ce théâtre ; en voici une nouvelle qui vaut bien les autres ; c'est cependant une espèce de succès, mais un succès plus déplorable qu'une chute, puisqu'il semble favoriser le mauvais goût, la négligence et l'avilissement, qui causeront tôt ou tard la ruine de l'Opéra-Comique. Je n'ai point vu la première représentation de cette Folie : on dit qu'on s'était arrangé pour qu'il y eût de l'enthousiasme ; c'était surtout un parti pris de trouver la musique divine. Ce manége a du moins servi pour amener du monde à la seconde représentation ; mais les folies perdent toujours à être répétées : les premiers transports s'étaient refroidis ; les applaudissemens ont été modérés ; le dénouement a paru plus mauvais que la première fois, la musique beaucoup moins bonne : quelques sifflets, bien modestes à la vérité, se sont fait entendre lorsqu'on a baissé la toile ; ce qui semble prouver que cette Folie sera courte.
Ce n'est que depuis très-peu de temps que les auteurs se sont avisés d'orner leurs productions de titres impertinens : le Vaudeville a donné l'exemple ; il n'a pas craint d'afficher des amphigouris, des parades, etc. ; voilà l'Opéra-Comique qui nous annonce une Folie. Il faudrait avoir un peu de pudeur et de respect pour le public ; quand on n'a que des folies à lui donner, il serait décent de ne pas du moins l'avertir d'avance.
Quelle est cette incurable manie de s'entêter à nous offrir sans cesse des pupilles esclaves d'un vieux jaloux, des amans aux prises avec des tuteurs ? Pourquoi les auteurs s'obstinent-ils à rester dans le pays des chimères ? Lorsqu'ils sont témoins de la douceur de nos mœurs, de l'aimable liberté qui règne dans la société, pourquoi veulent-ils maintenir sur le théâtre la tyrannie et le despotisme ? Ce n'est plus que là que l'on voit des argus qui gardent de jeunes filles, et de jeunes galans qui emploient la ruse pour les délivrer. Ces intrigues ne sont plus bonnes qu'à donner des nausées ; elles sont même trop vieilles pour les tréteaux des boulevards. Je suis fâché que l'illustre auteur de l'Abbé de l'Épée se dégrade lui-même au point de s'enfariner dans ces méchantes farces.
Un capitaine de cavalerie, un aide-de-camp, neveu d'un général, tel est l'acteur principal de cette parade. Elleviou aime beaucoup à paraître en dragon, en hussard ; il croit avoir plus de grâce quand il balaie les planches avec un grand sabre. Il n'est pas naturel qu'un militaire d'un ordre supérieur s'abaisse à ce misérable rôle ; qu'il mette en œuvre de honteux stratagêmes, des déguisemens indignes de lui, pour s'introduire dans la maison d'un peintre. Je sais que le comte Almaviva n'a pas plus d'égard à sa dignité, dans le Barbier de Séville ; mais, sans contester ici sur l'autorité de Beaumarchais, la scène de la pièce est à Paris, et les mœurs françaises répugnent absolument à ces mascarades, que la galanterie espagnole regarde comme d'heureuses inventions de l'amour.
L'officier français n'a point vu sa maîtresse, et il en est plus fou qu'un Espagnol : il a vu des tableaux de son tuteur, où il y a de jolies filles : donc, la pupille qui lui sert de modèle doit être un miracle de beauté ; il ne lui faut pas d'autre motif pour former le siége de la maison qui recèle cette merveilleuse infante. De son côté, la pupille dans son donjon, ou plutôt dans son grenier, chante pour implorer le secours des passans, prête à donner son cœur au premier chevalier qui la délivrera de sa prison. Une lettre, attachée à un ruban, pend sur le coin du théâtre : l'officier et son valet n'ont pas l'esprit de la prendre ; elle tombe entre les mains du tuteur, qui, bien averti du malin vouloir de sa captive, redouble ses précautions.
Le peintre attend un Allemand, marchand de tableaux : l'officier se présente sous ce déguisement ; mais il commet tant de bévues, et parle avec tant d'imprudence, qu'il est démasqué et berné. M. Bouilly a fait un effort de génie, lorsqu'il a donné tant d'esprit à son tuteur : on sait que les personnages de cette espèce sont officiellement bêtes : mais il n'est tombé qu'une fois dans cette faute, et s'est bientôt hâté de faire rentrer le peintre dans la classe des Cassandres.
On attend aussi un paysan de Chauny pour broyer les couleurs; le valet de l'officier se charge de ce déguisement ; c'est son tour. Il s'introduit dans la maison du peintre ; il y chante un vieux rondeau picard, à trois reprises, très-ennuyeux et très-long, qui produit l'effet du meilleur certificat, et détruit tous les soupçons qu'on pourrait avoir de sa fourberie. C'est Martin qui joue ce rôle niais, très-naturellement ; il attrape assez bien l'accent picard, et n'a pas craint de souiller par une vieille chanson rustique la noblesse de son gosier italien. Combien de gargarismes ne faudra-t-il pas pour le purifier ! Observons en passant que cette pièce est pleine de jargon et de patois : tantôt c'est le baragouin allemand, tantôt le baragouin picard. Les acteurs n'ont pas besoin, pour se rendre inintelligibles, d'affecter un accent étranger ; on ne les entend pas, lors même qu'ils s'énoncent dans leur langue le plus purement qu'il leur est possible : la volubilité de leur débit, la négligence de leur prononciation, l'ignorance absolue de la bonne manière de réciter, fait de leur langage ordinaire un continuel baragouin. Ce peuple de chanteurs ne sait pas parler. Les pupilles, communément, sont douces, timides et modestes ; celle-ci est acariâtre, insolente et dévergondée ; elle a, devant son tuteur, l'audace d'un grenadier : ce sont là les beautés ornées qui rajeunissent ce sujet usé. Il prend fantaisie au peintre d'achever un tableau qui représente Bayard recevant une écharpe des mains de madame de Randan ; mais il a besoin de modèles : il envoie à la caserne chercher un soldat pour représenter Bayard, et compte sur sa pupille pour figurer madame de Randan. Elle avait d'abord refusé ce service, mais le valet picard lui a fait entendre raison. A peine le soldat est-il arrivé, que le faux Picard jette par la fenêtre une échelle de corde à son maître, qui monte rapidement ; il fait descendre par la même échelle le soldat, qui se trouve être de sa compagnie. L'amoureux capitaine, déguisé par une barbe postiche, prend le casque et la cuirasse : le voilà vis-à-vis de sa maîtresse, qu'il voit pour la première fois : le peintre les pose, les arrange, puis se met à l'ouvrage. La situation pourrait être agréable, si elle avait été préparée et bien amenée, surtout si elle était suivie d'un dénouement convenable ; mais l'auteur, après avoir fait entrer son héros dans la citadelle ennemie, ne sait plus comment s'en débarrasser : il fait bruit, il casse les vitres, il crie aux armes. Le capitaine se découvre, et signifie tout bonnement au peintre qu'il veut épouser sa pupille, et qu'il n'a aucun droit de s'y opposer. Mais qui l'empêchait de faire cette signification au commencement de la pièce ? Il se serait épargné les frais de tant de ruses misérables. Il n'était guère possible de finir plus malheureusement ces arlequinades. Il n'y a nul mérite à gâter Guerre ouverte, l'Intrigue épistolaire, et plusieurs autres imbroglio plaisans, dont le sujet est le même, qui sont fort supérieurs pour l'art et la conduite. Cette Folie ressemble à tout, et ne ressemble à rien.
M. Bouilly est resté fort au-dessous de lui-même : de pareilles farces avilissent le théâtre de l'Opéra-Comique ; elles plaisent, dit-on, aux premiers sujets : cela prouve que le goût et le talent se trouvent rarement ensemble. Il ne faut pas se laisser séduire par le mauvais exemple de l'Irato : cette bouffonnerie a passé à la faveur du carnaval, et s'est soutenue à la faveur d'une jolie musique. Méhul a compté sur une première bonne fortune : ces folies ne se répètent pas deux fois avec succès ; sa seconde excursion sur le territoire de l'Italie n'est pas heureuse ; un compositeur de grands opéras français ne sort pas aisément de son caractère.
La romance de la pupille est fort agréable ; dans la scène du paysan picard, dans celle du tableau, on remarque des morceaux d'ensemble d'une bonne facture ; mais dans tout le reste, la pauvreté des motifs est déguisée sous de vains ornemens : les airs de Martin et d'Elleviou sont chargés de roulades, de gargouillades, de toute la mauvaise pretintaille du mauvais chant qu'on appelle italien : la véritable musique italienne se reconnaît à une mélodie pure, expressive et variée, à une noble simplicité : les vrais chanteurs italiens usent sobrement et à propos de ces agrémens que prodigue la médiocrité, qui n'a pas d'autres ressources. Elleviou et Martin se font tort à eux-mêmes, ils déshonorent leurs moyens en adoptant ce goût dépravé ; à la manière dont ils chantent, ils feraient presque soupçonner qu'ils ne savent pas chanter.
L'Opéra-Comique, s'il veut vivre longuement, doit renoncer à ces pauvretés, et revenir aux pièces en trois actes, d'un bon genre de comique et d'une conduite sage, dans le goût de celles dont Marmontel et d'Hèle ont enrichi ce théâtre. Il doit surtout revenir à la bonne et vraie musique, et abandonner les caricatures italiennes. Il n'est point essentiel à la musique italienne de s'exercer sur de plates bouffonneries. On prépare à ce théâtre la Fausse Duègne, pièce composée dans les bons principes, et dont la musique est le dernier soupir de Della Maria, cet aimable compositeur trop tôt enlevé aux arts. Ses charmantes productions, qui ont fait les délices de Paris, le Prisonnier, l'Opéra-Comique, l'Oncle valet, etc., ouvrage d'un goût délicat, d'une manière pure et franche, recommandent au public sa mémoire, imposent aux acteurs une juste reconnaissance, et doivent faire accueillir avec l'intérêt le plus vif ce dernier legs dont sa lyre a voulu gratifier notre scène. ( 19 germinal an 10. )
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