- Accueil
- Pièces, gens et lieux
- Les pièces : essai de catalogue
- p
- Les Prometteurs, ou l’Eau bénite de cour
Les Prometteurs, ou l’Eau bénite de cour
Les Prometteurs, ou l’Eau bénite de cour, comédie en trois actes et en prose, de Picard, 31 mars 1812.
Théâtre de l'Impératrice.
L’eau bénite de cour est une expression familière désignant des promesses faites sans intention de les tenir, et qu’on échange dans la vie mondaine avec des gens qui savent leur valeur.
-
Titre :
Prometteurs (les), ou l’Eau bénite de cour
Genre
comédie
Nombre d'actes :
3
Vers ou prose ?
en prose
Musique :
non
Date de création :
31 mars 1812
Théâtre :
Théâtre de l’Impératrice
Auteur(s) des paroles :
L.-B. Picard
Almanach des Muses 1813.
Le jeune Franval a quitté sa province, où il vivait heureux, pour venir faire fortune à Paris ; il s'entoure d'intrigans qui lui promettent plus qu'il n'ose espérer. Séduit par ces magnifiques promesses, il prête de l'argent à l'un, vend sa campagne à l'autre, cède son brevet de maîtrise de poste au plus adroit de tous, et déjà même il est près d'oublier les sermens qu'il a faits à Laurette, lorsque M. Merinville, ancien ami de son père, lui dessille les yeux, et lui fait retrouver par diverses ruses ce qu'il avait eu la faiblesse d'abandonner à ses faux amis.
Sujet moral et bien conçu ; peu de comique ; ouvrage que l'auteur paraît avoir écrit avec beaucoup de précipitation, et qui, dans des mains aussi habiles que les siennes, pouvait obtenir un brillant succès ; quelques représentations.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, Mame, 1812 :
Les Prometteurs, ou l'eau bénite de cour, comédie en trois actes et en prose, par L. B. Picard. Représentée sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice et Reine, à l'Odéon, le 31 mars 1812.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1812, p. 291-297 :
[L’article commence par l’expression d’un vif regret, celui d’avoir vu échouer une pièce de Picard, dont les œuvres précédentes se recommandaient par leur saine moralité et leur vive gaieté. Ce n’est pas le sujet qui l’explique, pas plus que le jeu des acteurs, effectivement médiocre à la première, meilleur à la seconde. Il faut que la pièce présente « un vice de composition » pour expliquer ce succès très relatif. Ce n’est pas le sujet qui est en cause, ni les moyens principaux utilisés, ni les personnages essentiels. Le but est clair et moral : faire comprendre aux provinciaux attirés par Paris que ce qui les attend dans la capitale est très éloigné de ce qu’ils en attendent, et les dissuader de venir s’y faire maltraiter. La pièce de Picard est écrite avec de bonnes intentions. Son personnage principal est « un personnage vrai, et par conséquent comique », et le général qui m’éclaire « plait, il intéresse , il amuse à-la-fois ». L’erreur de Picard est ailleurs : elle est dans l’insuffisante définition de ce qu’est l’eau bénite de cour, confondue avec les promesses faites pour obtenir un avantage. Dans la pièce, « on ne se moque pas » du provincial, « on [le] dépouille ». Dès que ce sujet est traité, « la couleur comique du sujet s’évanouit ». Le dénouement n’est d’ailleurs pas heureux. Le dialogue est, pour sa part, jugé à l’image de celui des autres pièces de l’auteur : il « offre des traits excellens d'observation et de mœurs, des mots naturels et piquans, des naïvetés qui excitent le rire ». Mais il ne produit pas l’effet qu’on en attendait, parce qu’il juxtapose des mots « tellement naturels et si souvent entendus » qu’ils ne paraissent pas originaux, et d’autres qui ne sont pas assez dans la situation. Le critique entreprend ensuite de nous convaincre que Picard gagnerait à faire jouer ses pièces, non plus « au théâtre secondaire » (celui de l’Impératrice), mais au Théâtre Français, où on lui aurait demandé de salutaires modifications. Ses œuvres antérieures méritent amplement de figurer au répertoire de l’illustre maison. Ce serait pour Picard à la fois une reconnaissance pour ce qu’il a fait et une garantie pour l’avenir, lui ouvrant des voies nouvelles dans des genres nouveaux.]
THEATRE DE L'IMPERATRICE.
Les Prometteurs, ou l'Eau bénite de Cour.
Il n'est aucun ami des lettres qui n'ait été vivement affligé du peu de succès du dernier ouvrage donné par un auteur, à la facilité et à l'esprit observateur duquel nous en devons un si grand nombre, qui réunissent la moralité la plus saine et la gaîté la plus vive, et qui corrigeraient en amusant, si la comédie avait jamais corrigé personne. On se demandait comment une idée heureuse, comment un sujet qui promettait tant et un titre qui promettait trop, n'avaient eu pour résultat qu'un ouvrage reçu froidement ; à la première représentation, le jeu des acteurs fut donné par tout le monde pour raison du peu de succès de la pièce ; ils eurent plus d'ensemble et de chaleur à la seconde ; la pièce a été mieux entendue, mieux accueillie, mais il y a trop loin de cette sorte de succès, à celui qui a couronné tant d'ouvrages du même auteur, qu'il faut que les Prometteurs, ou l’Eau bénite de Cour renferment un vice de composition, que chacun explique à sa manière, et qui frappe le public, sans qu'il se donne la peine de l'expliquer.
Nous nous plaçons à regret au nombre de ceux qui recherchent ce défaut essentiel ou les défauts de détail que peut offrir la pièce : l'intérêt qu'inspire si justement son auteur le commande-t-s'il s'est trompé, ce qui est probable, il doit désirer qu'on cherche à bien reconnaître le point précis de son erreur.
Certes, il ne s'est pas trompé dans le choix du sujet, dans l'invention des moyens principaux, dans la disposition de ses personnages essentiels. Son but est clair ; son intention est excellente ; il a voulu dire, répéter, et bien faire entendre à tout homme qui a loin de la capitale une existence honnête, un état utile, une fonction analogue à sa naissance, à son éducation, à sa fortune, restez où vous êtes ; reconnaissez, appréciez l'avantage d'une position où vous n'êtes pas déplacé, où les autres ne sentent pas que vous le soyiez [sic], où vous ne le sentez pas vous-même : ne venez pas à Paris perdre un argent considérable, et sur-tout un temps encore plus précieux à fatiguer les gens en place par de vaines sollicitations ; ne venez pas leur demander d'user inutilement ou mal-à-propos, d'un crédit qu'ils doivent ménager pour en faire un usage plus juste, plus conforme à l'intérêt public ; ne venez pas, par vos importunités, ou leur arracher des refus que vous traiterez de dureté, d'impolitesse, d'égoïsme, ou forcer ceux d'entre eux qui ont moins de franchise, à faire usage comme d'une sorte d'exorcisme contre les solliciteurs, de cette eau bénite de cour, dont on n'a jamais besoin de se servir avec un homme de sens, de mérite et de raison.
A coup sûr une comédie écrite dans une telle intention, est par ce seul fait un ouvrage dont on doit savoir gré à l'auteur ; telle est celle de M. Picard, qui rarement a manqué de marquer un but utile à sa muse comique, et dont la gaîté n'est jamais que le passeport d'un principe moral.
Le provincial qu'il nous présente venant à Paris avec beaucoup d'espérances, d'argent comptant, et de crédulité, est un personnage vrai, et par conséquent comique : l'idée de le faire suivre par une espèce de sournois, qui se tient derrière lui pour l'exciter à faire des sottises, et pour en profiter, est excellente : le rôle du général qui éclaire et dissout cette manœuvre est franchement dessiné ; il plait, il intéresse , il amuse à-la-fois.
Quels sont donc les côtés faibles de l'ouvrage ? Nous essayerons à cet égard de dire notre avis en peu de mots : promettre et tenir sont deux, dit-on ; nous croyons nous, que promettre et donner de l'eau-bénite de cour, soit à la cour, soit à la ville où l'on en donne beaucoup aussi, soit au village où il y en a bien aussi de petites distributions, sont deux choses très-différentes que l'auteur a confondues. La sœur du général ne donne point d'eau-bénite à ses solliciteurs ; elle promet à trois ou quatre à-la-fois une place qu'il n'est pas en son pouvoir de donner, que le crédit même de son frère, très-activement employé, serait bien loin d'assurer à l'un des solliciteurs ; elle ne se débarrasse donc pas de leurs importunités poliment, avec des bannales formules et des complimens vains ; elle leur promet, elle les trompe, elle leur tend un piège, et veut tirer parti de la crédulité de l'un d'eux ; elle veut que notre provincial lui vende sa terre comme on la vend à quelqu'un qui vient de vous obliger ; elle veut que le provincial prenne une femme de sa main, et quelle femme ! une veuve qui revient tous les matins chercher à l'audience de madame, une place pour un mari, ou un mari pour une place : il n'y a donc point ici d'eau-bénite de cour ; il y a intrigue très-caractérisée.
Le même raisonnement s'applique au neveu du général : qu'est-ce que ce jeune homme qui a un titre, des décorations, des terres, un secrétaire, beaucoup de crédit sans doute : à quel rang est-il élevé, à quelle classe appartient-il ? En recevant un placet, il emprunte dix mille francs : ce n'est pas encore là de l'eau-bénite de cour, cela mérite un tout autre nom ; il n'est pas possible de rire aux dépens du provincial, dont on ne se moque pas, mais qu'on dépouille ; on ne peut que le plaindre, lui et le général, dont le bon sens et la stricte équité n'ont pas encore fait justice de son méprisable entourage.
On voit que la couleur comique du sujet s'évanouit au moment où ce sujet commence à être traité, et cela par la nature des moyens employés par l'auteur ; aussi son premier acte est-il fort agréable, parce qu'il ne sort pas de ce que promet le titre, qu'on ne voit encore que des prometteurs et de l'eau-bénite ; on voit autre chose au second, et la gaîté s'éloigne ;au troisième, le moyen à employer pour dégager le provincial du pas dangereux où il s'est laissé entraîner, était difficile ; celui que l'auteur a imaginé n'est pas heureux ; il met le personnage honorable de la pièce dans une position indigne de lui ; cette partie d'ailleurs est traitée avec une sorte de négligence, et c'est celle qui a le plus nui à l'ouvrage.
Le dialogue, comme dans tous les ouvrages de l'auteur, offre des traits excellens d'observation et de mœurs, des mots naturels et piquans, des naïvetés qui excitent le rire : cependant la plupart de ces traits ont produit moins d'effet qu'on n'aurait pu s'y attendre : nous croyons pouvoir en indiquer une raison ; parmi ces mots, il en est de tellement naturels, et si souvent entendus, qu'ils ne peuvent guères avoir à la scène le mérite de l'originalité : il en est d'autres qui ne sortent pas très-bien de la situation et qui sembleraient plutôt avoir donné naissance à la situation elle-même pour être employés. Il est rare que de tels traits produisent au théâtre l'effet qu'on a pu s'en promettre, en essayant cet effet dans la conversation.
L'auteur avait destiné cet ouvrage au théâtre secondaire : il est cependant à regretter que les conceptions d'un homme dont le théâtre a un cachet et un caractère si remarquables, n'aient pas plus souvent la comédie française pour interprête : que serait-il arrivé si les Prometteurs eussent été présentés à la Comédie française ? Il est vraisemblable qu'on eût demandé à l'auteur des changemens, et qu'en le forçant à travailler de nouveau son sujet, on lui aurait rendu un véritable service.
D'un autre côté, pourquoi dans le si grand nombre d'ouvrages qui ont rendu cet auteur célèbre, et qui lui assignent un rang à part parmi les comiques, ne voit-on pas choisir et représenter au Théâtre Français, celles de ses pièces qui méritent le mieux d'y être reproduites ? Deux grandes comédies en vers, l'Entrée dans le Monde, le Mari ambitieux, n'appartiennent-elles pas de droit au répertoire du Théâtre-Français ? Le Voyage interrompu ne serait-il pas un pendant agréable au Conteur, dont le succès ne s'est jamais démenti, et a soutenu tant de métamorphoses dans sa manière d'être joué ? Le Collatéral paraitrait-il moins gai, moins vivement intrigué, moins amusant au Théâtre-Français qu'à l'ancien Théâtre de Louvois ; et cette Petite Ville, tableau si frappant de vérité, si piquant d'effet, croirait-on la placer dans un cadre trop vaste ?
Nous ne répétons ici de telles questions que parce qu'elles semblent faites par tous les amis du théâtre, et qu'il paraît difficile de les résoudre par la négative en donnant pour un tel refus de bien légitimes raisons. De telles dispositions seraient à la fois une récompense méritée pour le passé, et la garantie presque certaine de succès à venir : elles élèveraient, elles agrandiraient sans doute le cercle d'idées dans lequel l'auteur se croit retenu par la nature du talent des acteurs qu'il peut mettre en scène : il envisagerait encore la comédie et son véritable but, comme son bon esprit le lui a toujours indiqué ; mais il pourrait prendre pour arriver à ce but, des routes nouvelles, et sortir de celle où il semble avoir épuisé, dans un même genre, tous les moyens de succès.
Esprit des journaux, français et étrangers, 1812, tome X, octobre 1812, p. 59-69 :
[Deuxième article que l’Esprit des journaux consacre à la pièce de Picard, à l’occasion de la publication de la brochure donnant le texte de la pièce. Le critique voit le médiocre succès de la pièce comme l’équivalent d’une chute, et s’applique à l’expliquer. Il commence par un portrait flatteur d’un auteur qui n’a jamais produit autre chose que des comédie d’intrigue pleines de mouvement et de vivacité, souvent ayant « l’intérêt et le mérite des comédies de caractères », au style parfois un peu négligé, à cause sans doute de la rapidité avec laquelle il écrit. La sévérité avec laquelle on le juge vient de ce que le public n’aime pas ce dont le naturel lui donne l’illusion qu’il écrit n’a pas de valeur. La chute d’une pièce peut tenir à bien des causes, mais le grand public ne se donne pas la peine de démêler ce qui est mauvais au milieu de bonnes choses, alors que le public averti sait « qu’entre la pièce qui réussit et la pièce qui tombe, il n’y a souvent qu’une légère différence ». Et souvent l’auteur tente de corriger ce qui a déplu à la représentation, sans véritable réflexion sur ce qui a motivé la réaction du public. Pour la pièce des Prometteurs, ce n’est pas le sujet qui est en cause, ni la conduite de la pièce, ni le style. Le critique pense que c’est dans la conception du personnage principal, la dupe de toutes promesses, que se trouve le premier défaut de la pièce . Pour le rendre vraiment comique, il aurait fallu lui donner un vice, ou un très grand ridicule, qu’il n’a pas. De même, il aurait fallu opposer plus fortement les deux personnages qui le trompent, et qui sont trop proches. Par contre la critique du personnage riche qui emprunte une petite somme à sa victime n’est recevable qu’en partie : tout le monde peut être critiqué, il faut seulement que « le motif d’une mauvaise action » soit « proportionné au rang de celui qui la commet », et ce n’est pas le cas ici. L’article finit sur un encouragement pour Picard : sa pièce peut devenir « une comédie agréable et […] digne de tant d’autres dont il a enrichi le théâtre ».]
Les Prometteurs, ou l'Eau bénite de Cour, comédie en trois actes et en prose, par P. Picard. In-8°. Prix, 1 fr. 25 c., et 1 fr. 50 c. par la poste. A Paris, chez Martinet, libraire, rue du Coq, n°. 15.
Si cette pièce était l'ouvrage d'un auteur médiocre, je dirais qu'elle a faiblement réussi : pour les petits talens, c'est déjà un succès que de ne pas tomber tout à plat ; mais, pour M. Picard, c'est une véritable chute que de ne pas réussir d'une manière brillante : je considérerai donc les Prometteurs comme une pièce tombée, et je tâcherai de découvrir les causes de sa chute.
Quoique M. Picard occupe une place très-distinguée sur le Parnasse dramatique ; quoique sa réputation soit répandue sur toute la surface de l'empire français, et que ses ouvrages soient lis à contribution par. les étrangers, il me semble que l’on ne rend pas à cet auteur toute la justice qui lui est due. On fait trop d’attention à quelques qualités qui lui manquent, comme si le même homme pouvait posséder toutes les parties d’un art aussi difficile, et l’on n’apprécie pas entièrement son mérite. Il est presque le seul qui ait constamment conservé à la comédie son véritable caractère, lorsque tant d’autres auteurs s’efforçaient à le dénaturer. Il a su se préserver de la contagion qui avaient frappé tous les théâtres ; les succès de la Thalie pleureuse ne le rendirent point infidèle à l'aimable Thalie ; jamais il n’est sorti de sa plume une comédie en madrigaux, en idylles, et encore moins en élégies ; jamais l’affectation, le faux brillant, la déclamation, l’afféterie n'ont enluminé, enflé ou affadi son dialogue. Toutes ses pièces ont le mouvement et la vivacité des comédies d’intrigues, et presque toutes ont l’intérêt et le mérite des comédies de caractères : il présente, même dans les plus faibles, une foule d’originaux ridicules ou vicieux dont les figures sont presque toujours plaisantes, et sont toujours d’une grande vérité. Dans un temps où l’on se plaignait que la série des caractères était épuisée, M. Picard a su retrouver des caractères comiques dont l’image reste dans notre souvenir, et dont les noms sont devenus proverbes. Son style, quelquefois un peu négligé, se ressent un peu trop, je l’avoue, de la précipitation que l’auteur a mise dans son travail ; mais il offre continuellement une facilité, un naturel, et je ne sais quelle grace que l’on ne rencontre pas toujours dans les ouvrages plus soignés et plus littéraires. Si, malgré toutes ces qualités; bien des personnes n’accordent qu’une certaine portion d’estime à l’auteur de tant de jolies comédies, j’en trouve la raison dans une réflexion pleine de sens, qui a été faite par le rédacteur chargé, dans le Journal de l’Empire, de la partie dramatique. « Les gens du commun, dit-il, ne s’amusent pas de ce qui est naturel et vrai ; ils ne trouvent aucun mérite aux choses, quand ils s’imaginent qu’ils auraient pu les penser et les dire eux-mêmes. Il y a plus : les gens du monde, les gens comme il faut, quand ils n’ont pas l’esprit cultivé, ne peuvent se persuader que la comédie est faite pour représenter les vices et les ridicules. » Et plus loin : « Les honnêtes gens qui ont de l’esprit et du sens, qui aiment la nature et la vérité, marquent si peu dans le monde, et forment un si petit troupeau, que les autres genres ont une immense majorité d’amateurs ».
On demandera maintenant comment il peut se faire qu’avec tant d’expérience, et après tant de succès, M. Picard se soit complètement trompé sur l’effet d’une comédie, et se soit exposé à une chute, tandis qu’un novice réussit quelquefois dès son début. Voici tout ce que les bornes d’un article me permettent de répondre à cette question.
Pour le vulgaire des spectateurs, toute pièce qui tombe est mauvaise ; dès qu’une partie leur déplaît dans une œuvre dramatique, toutes les parties en sont également blâmées. Le public mécontent n’examine pas si l’auteur a péché seulement par le choix du sujet, par la manière de le présenter, par un ou plusieurs caractères, par la marche, par l’action, par des situations brusquées ou par le défaut de mouvement ; chacun de ces vices pouvant déterminer la chute d’une pièce, dès qu’elle tombe pour l’une de ces causes, elle est blâmée comme si elle réunissait toutes les imperfections ; et le style même qui doit toujours être relatif au sujet et aux personnages, choquent d’autant plus qu’il conviendra mieux à un sujet et à. des personnages qui auront déplu.
Les personnes, au contraire, qui connaissent l’art dramatique, savent qu’entre la pièce qui réussit et la pièce qui tombe, il n’y a souvent qu’une légère différence ; quelquefois même l'ouvrage, repoussé par le public, prouve un plus grand talent que celui qui enlève d’abord tous les suffrages. Un caractère trop affaibli ou présenté sous des couleurs trop vives, un effet mal préparé, une situation peu motivée, une action qui ne suit pas la route ordinaire, toutes ces choses et chacune d’elles suffisent pour indisposer le spectateur ; dès qu’il ne prend plus d’intérêt à. l’ouvrage, il dédaigne d’en suivre la marche ; l’humeur succède bientôt au dégoût ; il blâme tout ce qu’il entend, parce qu’il n’écoute rien dans le sens qu’a présenté l’auteur, et il finit par siffler impitoyablement des phrases qu’il aurait applaudies s’il avait adopté le sujet, le plan et la nature de l’action.
Les auteurs, effrayés par les murmures ou les sifflets, se trompent presque toujours en corrigeant à la hâte les pièces qui ont éprouvé alternativement la faveur ou la rigueur du public. Ils s’empressent de supprimer ou de changer les passages qui ont été l’objet du blâme, et ils conservent soigneusement ce que le spectateur n’a point improuvé. Mais la douleur d’un échec, ou la nécessité de se presser, les empêche souvent de réfléchir sur les corrections à faire. La scène qui a excité le plus de rumeur est souvent la meilleure et la plus originale de l’ouvrage : ce n’est donc pas à celle-là qu’il tient toucher , mais à celles qui doivent la préparer, et disposer le public à la juger dans son véritable sens ; c’est souvent dans un premier acte qu’il faut corriger un troisième ; et telles expressions qui ont paru de mauvais goût, quand elles appartenaient à un personnage mal présenté, deviennent des traits de caractère quand elles sont précédées de tout ce qui peut les offrir sous un jour convenable.
Il ne faut donc pas juger la pièce de l’homme d’esprit qui tombe, comme celle d’un écolier; et les chutes des auteurs distingués sont peut-être un sujet de méditation aussi utile que l’étude des meilleurs ouvrages.
Appliquons ces observations aux Prometteurs de M. Picard. Le sujet de cette pièce est-il vicieux ? Je ne le crois pas. Un maître de poste des environs de Nevers a fait fortune ; dés-lors il se croit au-dessus de son état ; il vient à Paris pour y solliciter une place plus relevée. Confiant dans les promesses qu’on lui fait, plus confiant peut-être dans son propre mérite, il prend les simples politesses pour des marques d’intérêt ou de considération, il croit à la simple parole des grands dont il aborde l’antichambre, quoiqu’il soit près lui-même de manquer aux promesses qu’il a faites ; et il renonce étourdiment à tout ce qu’il possède, avant d’obtenir ce qu’on lui a fait espérer. Les prometteurs qui le trompent sont des personnages riches et en crédit, et les caractères subaltemes qui figurent dans l’ouvrage ne manquent ni de comique, ni d’originalité. Il me semble qu’il y avait bien là de quoi faire une comédie.
La conduite de la pièce est très-régulière ; les scènes s’y développent sans embarras, et elles dépendent toutes l’une de l’autre. Le style y est naturel comme dans tous les ouvrages de M. Picard ; et si, dans cette pièce , il n’a pas paru aussi plaisant, c’est uniquement parce que le sujet ne s’est pas présenté aux yeux du public, tel qu’il s’était montré à l’imagination de l’auteur.
Quelles sont donc les causes qui ont fait recevoir froidement une comédie à laquelle on ne peut reprocher ni le sujet, ni les caractères, ni la marche, ni le style ? Je crois les avoir entrevues plutôt que découvertes ; si je prétendais offrir des certitudes, je ressemblerais trop aux prometteurs de la pièce : je présenterai donc de simples conjectures ; et puisque je suis chargé de rendre compte de l'ouvrage, il faut bien, dussé-je me tromper, que j’expose les observations bonnes ou mauvaises que m’a suggérées une lecture attentive et répétée.
Le sujet n’est point dans les Prometteurs, mais dans le personnage qui, par confiance et par présomption, est dupe de toutes les promesses. Un homme riche et puissant qui se joue de sa parole, et qui abuse de la crédulité de ses inférieurs, est plus désagréable que plaisant ; mais celui qui, par amour-propre, est dupe de toutes les promesses, parce qu’il ne croit pas qu’on puisse lui manquer, est un personnage de comédie. C’est donc cette dupe plaisante qui est le premier rôle.
De deux choses l’une : il fallait que ce personnage, nommé .Franchard, fût intéressant ou comique. Dans le premier cas, il serait devenu la victime de sa franchise et de son inexpérience ; les prometteurs qui en auraient abusé pour consommer sa ruine auraient été extrêmement odieux ; la pièce aurait tourné au drame, et aurait peut-être réussi ; mais M. Picard, qui n’a. jamais chagriné Thalie, a mieux aimé s’exposer à tomber dans la bonne route, que de triompher dans une comédie, au milieu des pleurs et des sanglots des spectateurs.
Il a donc voulu que le personnage de Franchard fût comique, et c’est ici que je crois remarquer le premier défaut de l’ouvrage, défaut capital qui l’a empêché de réussir. Pour que Franchard fût comique, il fallait lui donner un vice, ou au moins un très-grand ridicule ; il eût alors été dupe de son orgueil, et non pas de sa. confiance ; il eût lui-même fait de fausses promesses dans le moment où il se fût confié à celles qu’on lui faisait ; le public aurait.ri de l’embarras où il se serait jeté par une sotte présomtion, et aurait pardonné aux fourbes qui se seraient joués d’une pareille dupe. Il paraît que M. Picard a craint d’outrer ce caractère, et il l’a trop affaibli. Son Franchard est un si bon homme, sa petite vanité est si excusable, qu’on n’excuse point ceux qui en abusent ; on rit peu des sottises qu’il fait, et l’on ne rit pas du tout de ceux qui les lui font faire.
Un autre défaut moins grave, mais bien réel, est d’avoir donné le même caractère aux deux prometteurs, dont l’un est une femme. L’auteur n’a pas même assez marqué la nuance qui distingue un même vice dans les deux sexes : cette uniformité produit une répétition des mêmes scènes, et jette beaucoup de froid sur l’action.
Il me semble aussi que M. Picard n’a pas tiré tout le parti possible des personnages de Courbin et de Souplet, qui sont neufs et comiques, mais qui ne sont qu’ébauchès.
On a sévèrement reproché à l’auteur d’avoir rendu vicieux un personnage qui a du crédit et de la fortune : je crois qu’on s’est mépris sur l‘expression. On a voulu dire sans doute que le Varicour des Prometteurs descend jusqu’à la bassesse quand il abuse de la sottise de Franchard, et quand il le trompe pour se faire prêter dix mille francs, somme misérable pour un homme qui vit dans l’opulence ; j’adopte cette partie de la critique, mais si l’on veut en conclure qu’il ne faut jamais supposer de vices aux personnes riches et puissantes, je répondrai que tous les rangs sont justiciables du théâtre, et que les vices sont de tous les rangs. La tragédie nous expose les crimes et les passions honteuses des princes et des grands ; et si la comédie reléguait les vices chez les valets et dans la lie du peuple, il résulterait de là que la censure dramatique ne porterait que sur les deux extrémités de la chaîne sociale, et que toutes les classes intermédiaires en seraient affranchies, ce qui n’est pas proposable. J’avoue cependant qu’au théâtre, le motif d’une mauvaise action doit toujours être proportionné au rang de celui qui la commet, et c’est en ce sens seulement que je blâme le prometteur Varicour.
On me reprochera sans doute d’avoir si long-temps entretenu le public d’une pièce tombée ; mais M. Picard ne tombe guère, et ne donne pas souvent lieu à des discussions de ce genre. Je crois d’ailleurs que cet examen n’est pas tout-à-fait inutile ; il peut apprendre à ces jeunes gens qui jugent si lestement les ouvrages, que telle pièce dont ils ont précipité la chute, offre des observations fines, des idées ingénieuses, et des preuves d’un beau talent.
Quant à M. Picard, je lui conseille de ne pas renoncer aux prometteurs ; il a plus de talent qu’il n’en faut pour en faire une comédie agréable, et la rendre digne de tant d’autres dont il a enrichi le théâtre. J’apprends qu’il va publier le recueil de ses ouvrages dramatiques ; cette édition, dont le succès est déjà certain, était attendue de tous les amateurs de la franche comédie, et le libraire qui l’acquerra fera une meilleure spéculation que le Franchard des Prometteurs. H.
Ajouter un commentaire